Trop longtemps le nom d’Anna Boch (1848-1936) ne fit référence qu’à son flair de collectionneuse d’art, la seule à avoir acheté un tableau de van Gogh du vivant de l’artiste : La vigne rouge à Montmajour, exécuté à Arles en novembre 1888 et aujourd’hui au musée Pouchkine à Moscou. Une biographie un peu courte pour cette peintre talentueuse, l’une des premières représentantes du mouvement postimpressionniste en pays wallon ! Tout comme chez ses contemporains français, les paysages marins, la nature (les fleurs) et les vues de voyages occupent une place prépondérante dans son œuvre. On y retrouve particulièrement la mer du Nord : la côte belge et Ostende, la ville de James Ensor, dont elle acquit notamment l’œuvre majeure La Musique russe, mais aussi la Bretagne et le Midi de la France. Il manquait donc qu’un bel hommage lui fut rendu. L’exposition que lui consacre le musée d’Ostende, 175 ans après sa naissance, nous révèle sa vie d’artiste et de femme indépendante à la fin du 19e siècle en Belgique.
Peintre, mélomane, mécène et collectionneuse
À l’instar de ses contemporaines impressionnistes Berthe Morisot (1841- 1885) en France ou Mary Cassat (1844-1926) aux États-Unis, Anna Boch est née dans un milieu très aisé ; son père, Victor Boch, est l’un des fondateurs de la fameuse faïencerie Royal Boch-Keramis à La Louvière (devenue Villeroy-et-Boch). Une origine sociale et une bienveillance familiale qui lui permettent de mener une vie très indépendante. Mélomane (elle joue du piano, du violon et de l’orgue), céramiste, c’est surtout à la peinture qu’elle va consacrer sa longue vie, se formant au pleinairisme avec Isidore Verheyden. Elle croque sur le vif et poursuit en atelier des compositions solides, dans une palette au départ assez terne, qui va s’éclaircir au fil de ses voyages (au Maroc, en Italie, Belgique, Suisse, France…) et de ses nouvelles rencontres artistiques. Enthousiaste voyageuse immortalisant ses impressions de voyage, Anna Boch est aussi une femme moderne qui s’offre en 1907 une Minerva qu’elle fait conduire par Albert Lepreux. Sous l’influence d’Anna et de son frère Eugène, ce chauffeur -et ami du couple- se mettra aussi à dessiner et peindre !
En 1885, Anna entre au groupe des XX fondé par son cousin l’écrivain et avocat Octave Maus et qu’Ensor et Khnopff ont déjà rejoint. Anna est la seule femme parmi ces « vingtistes » dont le premier salon en 1884 a joué un rôle équivalent en Belgique à l’exposition impressionniste dix ans plus tôt à Paris. D’un voyage en France, la jeune femme revient influencée par Monet et Seurat. Et c’est un véritable choc artistique avec la découverte, en 1887, de l’œuvre pionnière de ce dernier, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte (exposée aux XX à Bruxelles et qu’elle achètera en 1891 après la mort prématurée de Seurat). Anna Boch va se lancer dans le pointillisme, mais sans jamais totalement adhérer à la rigidité du divisionnisme de Seurat et de Signac, oubliant quelque peu la séparation mécanique des tons, n’hésitant pas à procéder par petits amas de couleurs, par facilité peut-être, par manque de talent jugeront certaines mauvaises langues masculines, par esprit de liberté avancerons-nous. Ses coups de pinceaux sont vifs et légers. Sa palette harmonieuse se colore avec un goût prononcé pour le ton lilas dont elle habille même les moutons (Octobre, 1889) et qui sublime sa composition En juin (1894) avec cette jeune femme en robe blanche posant près d’une cascade de clématites d’un violet intense. La critique est dithyrambique. Cette couleur lilas se retrouvera dans de nombreux autres tableaux, comme Falaise à Sanary (1924) et jusque sur ses créations en faïence en camaïeu bleu tirant vers le violet.
Acheteuse de Van Gogh
C’est par l’intermédiaire de son frère, Eugène (1855-1941) -qu’Anna a encouragé à devenir peintre et qui s’est installé à Paris-, qu’elle fait la connaissance de Vincent van Gogh. C’est aussi avec Eugène, qui fréquente de nombreux artistes, qu’elle va acheter des œuvres de Gauguin (Conversation, Bretagne, 1888), un autre van Gogh après sa mort (Plaine de La Crau avec pêchers en fleurs). Si, comme son frère, elle soutient des artistes, elle est aussi une collectionneuse avisée, s’offrant Saint-Tropez, La Calanque (1906) de Signac en revendant ses deux van Gogh dont la cote a monté ! Et fait décorer sa maison de Saint-Gilles (l’une de ses nombreuses résidences) par Victor Horta, dans le style Art Nouveau très à la mode à l’époque. Bien qu’Anna Boch n’ait jamais dû vivre de la vente de ses œuvres, elle expose régulièrement et vend bien ses toiles. La galerie Giroux lui organise même une rétrospective en 1930.
Pour cette exposition, Mu.ZEE a bénéficié de prêts exceptionnels d’œuvres, notamment Paul Signac, Saint-Tropez, La Calanque (KMSKB), Paul Gauguin, Conversation, Bretagne (KMSKB), Vincent van Gogh, Portrait d’Eugène Boch (Musée d’Orsay, Paris). Une belle opportunité de découvrir l’œuvre vibrante et la vie passionnante de cette peintre et collectionneuse qui aimait les jardins fleuris et les bords de mer, comme celle qui baigne Ostende où elle séjourna en 1907, participant à une exposition au mythique Kursaal à l’histoire mouvementée. Un lieu aujourd’hui encore dédié à la culture, dominant l’immense plage baignée de l’exceptionnelle lumière du Nord.
Catherine Rigollet