Ni complètement orientaliste ni impressionniste, pas réaliste non plus, l’inclassable Félix Ziem (1821-1911) sort du purgatoire des artistes ces dernières années. Sa peinture bien léchée, sage, voire stéréotypée, retrouve les grâces de l’exposition alors qu’il a été très renommé et coté l’essentiel de sa carrière qui s’étend de 1845 à 1910 où il a produit environ 6000 peintures (dont la moitié représente Venise) et 10 000 dessins !
La rétrospective d’une centaine d’œuvres que lui consacre le Palais Lumière d’Évian a quasiment été élaborée par l’artiste lui-même, même si les commissaires Charles Villeneuve de Janti et William Saadé n’y sont évidemment pas pour rien (!), puisque la quasi-totalité des toiles, dessins et croquis de carnets exposés proviennent de la donation que Ziem a faite en 1905 au musée des Beaux-arts du Petit Palais de Paris alors naissant. Une donation dont l’artiste avait sélectionné consciencieusement les œuvres qui méritaient selon lui la postérité.
Si le natif de Beaune en Bourgogne, qui privilégia sa résidence de Martigues les cinquante dernières années de sa vie, n’est jamais venu à Évian, il n’est pas incongru que le Palais Lumière à l’aspect quelque peu oriental lui rende hommage. Le dôme du Palais Lumière, la silhouette du casino à l’architecture inspirée de la mosquée Sainte-Sophie d’Istanbul, les effets du soleil sur le lac Léman…, autant d’éléments qui peuvent associer la ville lacustre à l’œuvre de Ziem toujours soucieux de « saisir la lumière » dans des paysages où souvent l’eau et le ciel se répondent.
Architecte de formation, Ziem se découvre une vocation de dessinateur et de peintre à Marseille, qui devient au milieu du XIXe siècle la ville du voyage et de l’exotisme. L’artiste voyage beaucoup dans toute l’Europe, de Londres à Saint-Pétersbourg, mais son attirance le porte vers les villes et les atmosphères du pourtour méditerranéen, avec une prédilection pour Venise et Constantinople. Henri Focillon (1881-1943), théoricien et historien d’art, surnommait Ziem « le pirate doré de la Méditerranée », même s’il n’a jamais pillé que des paysages… Huysmans écrivait : « M. Félix Ziem appartient à cette génération d’artistes qui, grisée de couleurs par le romantisme, cingla à toutes voiles vers les Eldorados inconnus du vieil Orient. » Partout où il travaille, Ziem aménage un logement-atelier, appartement rue Lepic à Paris, maison à Martigues, et même une roulotte-atelier à Barbizon ou une gondole-atelier à Venise ! Car s’il dessine sur le motif, ses dessins et aquarelles (et Ziem est un aquarelliste de grand talent, comparé aux plus grands par les critiques de l’époque) lui servent de répertoire de formes et d’images pour réaliser ses toiles dans son atelier, même si ses aquarelles sont des œuvres achevées qu’il expose et vend aussi tel quel. Plusieurs d’entre elles sont présentées au Palais Lumière.
La production prolifique de Ziem s’explique en partie par le fait qu’il préparait des fonds en série sur lesquels il plaquait un motif ou un paysage, un même fond pouvant accueillir le Palais des Doges ou la mosquée Sainte-Sophie ! Des fonds brossés finement, aux effets prononcés de poudroiement, et des motifs aux empâtements de couleurs assez pures. Car, pour l’essentiel, la lumière est son sujet de préférence, avec une attirance particulière pour les couchers et levers de soleil sur une ligne d’horizon très basse, histoire de se mesurer à un de ses maîtres, Claude Gellée dit « le Lorrain » (1600-1682). Nous serions incomplets si nous omettions de signaler que l’exposition recèle d’autres œuvres de Ziem que ses toiles « méditerranéennes » : des natures mortes, des copies d’après Rembrandt (où l’on voit qu’il n’était pas au mieux avec la représentation de la figure humaine), des motifs parisiens et des paysages sous influence « Barbizon », une compagnie de peintres dont il fut très proche à un moment. Félix Ziem nous dévoile un Orient rêvé plutôt que fantasmé, où sont absentes les notes sensuelles, voire érotiques, de nombre d’autres orientalistes de son époque. Donc un peintre plutôt « illustrateur » qui pouvait séduire un vaste public, ce qui ne manqua pas de se passer.
Jean-Michel Masqué