Si les impressionnistes ont beaucoup peint la campagne, ils se sont aussi intéressés à la ville et à la vie moderne, comme nombre d’artistes entre 1860 à 1914. Dans les grandes métropoles, au premier rang desquelles Paris, les lieux de commerce qui se multiplient sont particulièrement attractifs. Échoppes, boutiques, vendeurs ambulants, grands magasins… dedans ou dehors, sur les vitrines, tout est spectacle. L’exposition l’illustre à travers une centaine d’œuvres.
Tout commence par les transformations urbaines du Paris haussmannien. Les grands boulevards sont créés (Giuseppe de Nittis, Le Percement de l’avenue de l’Opéra / Camille Pissarro, L’Avenue de l’Opéra). De nouvelles architectures grandioses sont construites à commencer par les grands magasins, ces palais de la marchandise si bien dessinés par Jules Chéret.
La suite de l’exposition se consacre aux modes d’exposition de la marchandise. Sur les étals des marchés pour attirer le chaland (Raoul Dufy, Le marché à Marseille / Victor Gabriel Gilbert, Le Carreau des Halles). Dans les vitrines pour faire naître le désir d’avoir (Georges Bottini, Les élégantes devant la boutique). Sur les affiches publicitaires qui fleurissent sur les murs, transformant la rue en un « magasins d’images et de signes » soulignait Baudelaire en 1859. Et même sur les épaules d’hommes sandwichs. Sans oublier les enseignes qui se modernisent, de la classique tête de cheval des boucheries chevalines, aux enseignes en lettres qui s’éclairent bientôt de toutes les couleurs.
La ville marchande, ce sont aussi les clients, comme ceux qui se bousculent devant les tissus sur cette gravure de Félix Vallotton (Le Bon marché), et ces enfants le nez collé à la vitrine d’un magasin de jouets, la société marchande ayant bien compris qu’ils étaient une cible commerciale et qu’il fallait aussi les séduire (La Tentation, photogravure d’après Victor Gabriel Gilbert). Mais la ville marchande, c’est surtout tout ce peuple d’employés des commerces, nouveau prolétariat qui serait invisible sans les peintres et les photographes : modistes croquées par Félix Valloton, blanchisseuses (Walter Sickert, La Blanchisserie), garçons de café (Albert Weisgerber, Café parisien). Mais aussi, demoiselles de magasin photographiées pendant leur pose déjeuner au réfectoire, commis et petits manutentionnaires s’affairant dans les rayons ou dans les sous-sols des Grands magasins du Louvre (estampes de Jules Férat et Constant Dutheil), marchands ambulants comme ces jeunes vendeuses de fleurs dans la rue illustrées par Steinlen avec l’air d’attendre un certain type de clients, ou ce triste petit Marchand de citrons peint par Fernand Pelez. L’envers du décor derrière le spectacle.
Cette exposition, organisée dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, montre avec justesse, dans une grande diversité de supports (peintures, photographies, films, dessins, gravures, ainsi que des enseignes commerciales, affiches publicitaires et objets promotionnels) comment les artistes ont vu et illustré ce spectacle de la marchandise, offrant une vision kaléidoscopique de la ville marchande, particulièrement enrichissante.
Catherine Rigollet