Entangled Pasts, 1768 – now. Art, Colonialism & Change

Le règne de George III d’Angleterre voit, en 1768, la fondation de la Royal Academy. Son premier président, le peintre Joshua Reynolds, peut l’appeler sans retenue “une décoration” sur le manteau de l’Empire Britannique. Au fil des décennies, les académiciens développeront des sentiments variés et divergents vis-à-vis de l’histoire impériale et, à ce jour, l’héritage du colonialisme continue à imprégner la vie quotidienne et artistique, tant au Royaume-Uni que dans le monde entier.

L’exposition d’une centaine d’œuvres par des académiciens des 18e et 19e siècles (Joshua Reynolds, William Turner ou John Singleton Copley) et des artistes contemporains, ouvre aux composantes de ce passé colonial : esclavage, résistance, abolition, colonialisme, etc.
et offre une opportune plate-forme à des artistes des diasporas caribéenne, indienne et africaine. Dès la cour, une œuvre de choc. Serait-ce une Cène ? Non et oui, c’est un First Supper (Galaxy Black), 2023 (Cène en anglais se dit “Last Supper”), de Tavares Strachan (originaire des Bahamas). Des personnalités noires de tous bords partagent des nourritures tant terrestres qu’intellectuelles dans une même communion. Au centre, à la place de Jésus, le Négus, à celle de Judas, l’artiste lui-même.
Dans la première salle, des portraits d’Africains, comme cet esclave-artiste, vivant à Boston à la fin du 18e siècle et dont il ne reste aucune œuvre (Scipio Moorhead, Portrait of himself, 1776, 2007), mais qu’immortalise Kerry James Marshall, peintre afro-américain, né en 1955, qui s’insurge contre la marginalisation de ses pairs, en ne portraiturant que des personnages “emphatiquement noirs”.
Dans les salles, se succèdent des œuvres témoignant de l’implication des Anglais dans le commerce triangulaire, de la naissance des idées abolitionnistes (y compris un livre prônant l’abolition et écrit par un ancien esclave, Ottobah Cugoano, publié en 1791 et lu par les académiciens), puis des contradictions de l’ère victorienne, quand les artistes s’emparèrent du thème de l’abolition, alors que l’Angleterre poursuivait son expansion coloniale (Colonel Blair with his family and an Indian ayah,1786 - détail). La dernière partie se consacre au Middle Passage, la traversée de l’Atlantique par les bateaux négriers (Seascape with Buoy, c. 1840 de J. M. W. Turner, qui ne connote en rien la thématique de l’exposition).

Les dernières salles sont consacrées à des œuvres d’artistes contemporains bien connus : El Anatsui, qui travaille à partir de capsules de métal, de bois flotté ou d’autres matériaux de récupération, offre une émouvante procession en bois brûlé, de jeunes survivants du commerce des esclaves danois (Akua’s surviving children, 1996). Jusqu’au 14 avril, on peut découvrir Behind the Red Moon, une installation sculpturale monumentale d’El Anatsui, dans le Turbine Hall de la Tate Modern.

Yinka Shonibare fait grimper quelques marches à l’un de ses personnages décapités, vêtus de wax coloré, qui nous sont familiers (Woman moving up, 2023). Karen McLean juxtapose les photos de belles résidences de style européen à Trinidad, avec de petites sculptures des modestes cases caribéennes (Primitive matters : Huts, 2010). On se passionne pour les biographies cryptiques trouvées au dos de chacun des personnages découpés de Lubaina Himid, qui occupent deux salles ; des représentations d’esclaves arrachés à ce qui faisait leur talent, mais qui semblent accepter leur nouveau sort. Ainsi, pour le tambour : « Mon nom est Essian/On m’appelle Dan/J’étais à la tête d’une armée/Maintenant je joue pour les enfants/Mais j’aime leurs rires » (traduction libre) (Naming the money, 2004, détail).

Voici une exposition complexe, sur le rôle joué par la Royal Academy et ses artistes, comme témoins et dénonciateurs de l’esclavage. Il reste que celui-ci, et ce qui s’ensuivit, fait partie de notre héritage culturel à tous. Richement illustrée, dans une confrontation constructive d’artistes d’hier et d’aujourd’hui, cette présentation vaut à coup sûr une visite.

Elisabeth Hopkins

 Parenthèse : Hasard ou belle concordance, l’œuvre qui figure actuellement sur le 4e socle de Trafalgar Square est dans la ligne de l’exposition de la RA : Antelope de Samson Kambalu, artiste malawien, est une sculpture inspirée d’une photo de 1914 montrant deux amis, un pasteur baptiste du Nyassaland opposé à la colonisation de son pays, et un missionnaire européen. Le pasteur porte un chapeau, chose interdite à un Africain en présence d’un blanc.

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 3 février au 28 avril 2024
Royal Academy of Arts
Burlington House,
Piccadilly, London W1J 0BD
Du mardi au dimanche : 10h à 18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Entrée : 22 £
www.royalacademy.org.uk


Visuels :

 Yinka Shonibare (b.1962), Woman Moving up, 2023. Fibreglass mannequins, Dutch wax-printed, cotton textile, bespoke globe, brass, leather, various possessions, steel and painted wood. Courtesy the artist and James Cohan gallery, New York. Photo E.H

 Tavares Strachan (b.1979), The first super (Galaxy Black), 2023. Bronze, black patina and gold leaf. Courtesy of the artist and Perrotin, collection of Glenstone museum, Potomac, Maryland. Photo E.H

 Lubaina Himid (b.1954), Naming the money, 2004. Mixed media installation. National museums Liverpool, International slavery Museum. Gift of Lubaina Himid, 2013. Photo E.H

 El Anatsui (b.1944), Akua’s Surviving Children, 1996. Found wood and metal. Courtesy of the artist and October Gallery, London. Photo E.H

 Kerry James Marshall (b.1955), Scipio Moorhead, Portrait of Himself, 1776 (2007) is a tribute to the enslaved African American artist whose work has not survived. Photo E.H

 Samson Kambalu (b.1975, Malawi), Antelope. Statues sur un socle, Trafalgar Square, London. Photo C.R, octobre 2021.