Henri Martin (1860-1943) et Henri Le Sidaner (1862-1939) : deux talents fraternels

Depuis nombre d’années, Yann Farinaux-Le Sidaner, arrière-petit-fils du peintre Henri Le Sidaner (1862-1939), s’est voué à faire sortir de l’ombre son aïeul oublié. Il s’en est fait l’expert à travers de nombreuses publications et expositions, les Japonais notamment se montrant très friands de l’art d’Henri Le Sidaner et de ses confrères postimpressionnistes. Il a même consacré à son illustre ancêtre un site Internet. En 2014, nous avions déjà croisé Le Sidaner à l’occasion de sa rétrospective dans plusieurs musées des Hauts-de-France. La nouvelle exposition du Palais Lumière d’Évian l’associe à un de ses proches amis peintres, Henri Martin (1860-1943). « Deux talents fraternels ».

C’est au Salon de 1891 que le « septentrional » encore inconnu Le Sidaner (bien que né sur l’île Maurice, il vit et peint alors à Étaples dans le Pas-de-Calais) rencontre le « méridional » Martin, déjà réputé dans le milieu artistique. Au tournant du XXe siècle, après quelques voyages d’étude dans l’Europe de la peinture (Flandre, Italie, Londres…), les deux peintres partagent une même reconnaissance et resteront liés jusqu’au décès de Le Sidaner en 1939. « Nos natures étaient un peu différentes, mais nos visions d’art étaient parallèles », estimait Henri Martin tandis qu’Henri Le Sidaner écrivait à la fin de sa vie : « C’est à la fin d’un de ses journées de travail très remplies que j’aime à rencontrer Henri Martin heureux après l’effort quotidien. En l’esprit détendu naît la douceur d’une amitié que cache sa sensibilité sous des dehors plus rudes. »

Parallèlement, ils passèrent du symbolisme, où les jeunes femmes sont diaphanes et la touche picturale vaporeuse (Le Dimanche de Le Sidaner, Harmonie de Martin), à l’intimisme en passant par des paysages parfaitement composés et tout en demi-teintes. Henri Martin fit aussi sa réputation sur ses grands décors pour des institutions comme le Conseil d’État, la Sorbonne, la préfecture de Cahors ou le Capitole de Toulouse… Alors que le paysage artistique était complètement bouleversé par de profondes ruptures esthétiques au début du XXe siècle, Le Sidaner et Martin n’en ont été aucunement influencé ; ils ont préféré pousser les derniers feux de l’impressionnisme quasiment jusqu’à son extinction en peintres de la douceur de vivre et de l’immuabilité. Le chantre des avant-gardes, Apollinaire, écrit dans son Salon de 1914 non sans une certaine ironie : « M. Henri Martin est, sans aucun doute, le meilleur peintre de ce Salon ; il exprime des idées générales ; il est rustique et peuple à souhait. Tout cela produit des œuvres un peu coco, mais dignes d’attention. » Proust n’en est pas moins persifleur : « Mme de Cambremer [...] égala Monet à Le Sidaner. On ne peut pas dire qu’elle fût bête ; elle débordait d’une intelligence que je sentais m’être entièrement inutile. » (Sodome et Gomorrhe II).

Dans les dernières années de leur vie, les deux hommes font de leur maison de campagne, Le Sidaner à Gerberoy (Oise) et Martin à Labastide-du-Vert (Lot), leur retraite estivale et l’une des sources de leur inspiration entre jardins et variations de lumière (voir les natures mortes « à la table » de Le Sidaner). Fidèles à eux-mêmes et à leurs admirateurs (Le Sidaner et Martin ont même connu un retour de grâce depuis les années 1980), les deux amis ont perpétué jusqu’au bout une peinture de l’insouciance et de la contemplation, de la vie bourgeoise, une peinture « tranquille »…L’homme de lettres Albert Acremant écrit en 1930 à Le Sidaner : « Vos tableaux qu’on distingue entre mille dans une exposition réhabiliteront notre époque aux yeux de l’avenir… Grâce à vous on saura que nous avions encore des maisons heureuses et que loin des restaurants agités nous aimions aussi nous assoir devant les tables discrètes où brille l’argenterie et dont les coupes de cristal reflètent le ciel. »

Jean-Michel Masqué

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 8 juin 2024 au 5 janvier 2025
Palais Lumière Évian
Quai Charles-Albert Besson - 74500
Tous les jours de 10h à 18h, sauf lundi et mardi de 14h à 18h
Plein tarif : 9 €
Tél. 04 50 83 15 90
www.palaislumiere.fr


Visuels :

 Henri Le Sidaner, Harmonie blanche, huile sur toile, 1921, Fonds d’Art Contemporain - Paris Collections, photo Yves Le Sidaner.

 Henri Le Sidaner, La Table bleue, Gerberoy, huile sur toile, 1923, Singer Laren, don d’Anna Singer-Burgh 1956, photo Singer Laren museum.

 Henri Martin, Le Bassin à Marquayrol, huile sur toile, vers 1920, Collection Pierre Bastid, Paris, photo Galerie Alexis Pentcheff.

 Henri Martin, Le Bassin, huile sur toile, vers 1908, Collection Pierre Bastid, Paris, photo Galerie Alexis Pentcheff.

 Henri Martin, Les Paveurs, huile sur toile, vers 1925, Collection particulière, photo Archives photographiques Maket Expert.

 Henri Le Sidaner, Le Soleil dans la maison, huile sur toile, 1926, Paris, musée d’Orsay, en dépôt au Sénat, Paris, photo Yves Le Sidaner.