Henri Matisse. L’Atelier Rouge

De loin, on ne voit d’abord que le rouge, un beau rouge sang de bœuf parsemé de petits cadres semblant flotter dans cet espace monochrome. On ne sait pas encore qu’on se trouve à l’intérieur de l’atelier de Matisse à Issy-les-Moulineaux, dans la banlieue parisienne, en 1911. Sur une surface plane, pratiquement sans perspective, le peintre a disposé quelques-uns de ses récents tableaux aux murs, d’autres sont empilés au sol. Il y a aussi deux sculptures posées sur leur stèle à côté de ce qui ressemble à une commode. Au premier plan, une chaise, une table et quelques objets dessus : un vase, un verre, une céramique peinte et des crayons…
Matisse (1869-1954), en concevant cet étrange « portrait d’atelier », bien loin d’un habituel tableau de chevalet, a choisi avec soin les œuvres qui paraîtraient dans son tableau, car il voulait montrer son atelier non seulement comme un lieu de vie et de création, mais aussi comme le musée imaginaire de la première partie de son œuvre. Or en 1911, les murs de son atelier sont tapissés de tableaux. L’Atelier rouge montre onze œuvres, notamment : Nu à l’écharpe blanche (1909), Jeune Marin II (l’une des rares figures masculines de l’œuvre de Matisse, peinte à Collioure), Cyclamen (1911), Corse, le vieux moulin (1898), Baigneurs (1907) ou encore Le Luxe II, (1907-1908), un paysage simplifié avec trois Vénus qui renvoie aux fresques toscanes que Matisse a pu voir durant son voyage en Italie en 1907. Si cette dernière toile est conservée au SMK à Copenhague, le Centre Pompidou détient la version I dans ses collections permanentes, dans une gamme de couleurs plus pâles. Manque Le Grand nu. Peinte à Collioure en 1911, la toile n’est connue que par L’Atelier rouge et des photographies. Jamais exposée, ni vendue, jugée inachevée par Matisse, il a souhaité qu’elle soit détruite après sa mort.

En collaboration avec le MoMA de New York et le SMK de Copenhague, la Fondation Louis Vuitton explore la genèse et l’histoire de cette peinture en l’exposant à côté des œuvres qui y sont représentées (six peintures, trois sculptures et une assiette peinte), issues de différents musées internationaux. Et d’autres œuvres étroitement liées à ce désormais fameux Atelier rouge, comme Poissons rouges et sculpture (1912), La fenêtre bleue (1913) ou encore le somptueux Grand Intérieur rouge de 1948. Une autre image dans l’image (avec la présence de deux tableaux du maître au mur), mais une peinture moins radicale que L’Atelier rouge par sa construction en perspective.
Fascinant par sa nouveauté radicalité, L’Atelier rouge l’est aussi dans sa conception, comme l’explique un documentaire au sein de l’exposition. Dans un premier temps, Matisse a composé avec des perspectives, des murs bleus, un sol rose et un mobilier ocre. Et puis, brusquement, il a décidé de tout couvrir de ce rouge de Venise, un peu plus chaud que l’ocre rouge, transformant radicalement l’œuvre en une image plate, simplifiée. Gustave Moreau, dont il fut l’élève, lui disait déjà : « vous allez simplifier la peinture ». Il suivra la leçon à l’extrême, baignant ses œuvres dans la couleur devenue le principal élément artistique. Depuis que cet homme du nord (né au Cateau-Cambrésis) a découvert la lumière du Sud, il s’est laissé emporter par la couleur, devenant même le chef de fil du fauvisme.
La toile était destinée au grand collectionneur russe Sergueï Chtchoukine, qui la refuse. Matisse va la conserver jusqu’en 1927, date à laquelle elle passera dans plusieurs mains privées avant d’être achetée par le MoMA en 1949. Son titre n’est pas de Matisse (qui l’avait nommé « Panneau rouge »), mais a été donné par Alfred Barr, Directeur fondateur du MoMA, lors de son acquisition. Depuis, L’Atelier rouge est devenu une œuvre emblématique de Matisse, et de l’art moderne.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 7 mai au 9 septembre 2024
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi – 75116
Tous les jours, sauf mardi, 11h-20h
Samedi et dimanche 10h-20h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Tarif plein : 16€
www.fondationlouisvuitton.fr


À voir aussi à la Fondation Vuitton jusqu’au 9 septembre 2024 : « Ellsworth Kelly : Formes et Couleurs, 1949-2015 ». Précurseur d’un minimalisme constructif et pionnier d’une forme nouvelle d’abstraction dont il a posé les bases lors d’un long séjour parisien (1948-1954), Ellsworth Kelly a révolutionné l’art américain d’après-guerre par son approche inédite de la couleur et des formes aux lignes tranchantes. Lire l’article.


Visuels :

 Henri Matisse, L’Atelier rouge, 1911. Huile sur toile, 181 x 219,1 cm. The Museum of Modern Art, New York.

 Henri Matisse, Jeune Marin (II), 1906. Huile sur toile, 101,3 × 82,9 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York. Collection Jacques et Natasha Gelman, 1998 © Succession H. Matisse.

 Henri Matisse, Cyclamen, 1911. Huile sur toile, 72,5 × 59 cm. Collection particulière, courtesy Andrew Strauss, Paris © Succession H. Matisse.

 Henri Matisse, Grand Intérieur rouge, 1948. Huile sur toile, 146 x 97 cm. Musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou, Paris. Acquisition de l’État, 1950 © Succession H. Matisse

 Henri Matisse (1869-1954) et son chien devant l’atelier d’Issy-les-Moulineaux. Photographie a l’entrée de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton.

Photos L’Agora des Arts. Vernissage presse 3 mai 2024.