Pendant que le musée de Nice prête 145 œuvres et objets de ses fonds au National Art Center de Tokyo, Eric de Chassey, commissaire de l’exposition, a laissé libre cours à Djamel Tatah (né en 1959) pour occuper les cimaises avec une centaine de sculptures et œuvres graphiques en noir et blanc de Matisse (vu ici en artiste du trait et de la ligne et non de la couleur), et pour les faire dialoguer avec une trentaine de ses propres toiles.
Un dialogue un peu spécial, car presque chaque salle est consacrée à un seul des deux artistes, mais qui, globalement, permet d’apprécier leur travail sur les gestuelles, classiques chez Matisse, mais “explosées” chez Tatah qui loge parfois ses figures à taille humaine dans des postures inusitées sur les bords et dans les coins de ses toiles mono ou bi-chrome, ou qui les fait voler comme Chagall.
Quelques salles suffisent pour se laisser capter par les toiles, parfois monumentales de Tatah, et en oublier presque Matisse...même si l’on aimera rapprocher un bronze de celui-ci, deux femmes (Deux négresses), 1907-1908, de Sans titre, 2014 de Tatah ou penser que Visage-Le silence, 1929 en fin de parcours résume parfaitement d’un doigt sur une bouche l’incommunicabilité des figures de Tatah.
Qui sont-ils donc, ces personnages toujours vêtus mais jamais identifiés par l’artiste ? Est-ce une mendiante, adossée à un mur, partageant la toile avec une femme semblant indifférente ? Est-ce un corps de migrant échoué sur une plage noire devant une mer azur et meurtrière ? Est-ce un visage de madone ? Tatah peint des personnages détachés du temps et des lieux, laissant assez de place sur la toile pour que nous y entrions, respectueux de leur histoire, de leur silence... mais néanmoins obligés par l’artiste, il le dit lui-même, « à prendre du recul et à observer attentivement notre rapport aux autres et à la société ».
Elisabeth Hopkins
