L’Âge d’or de Monique Frydman

Dans ses monumentales toiles abstraites, Monique Frydman poursuit sa réflexion autour des questions de la trace, de l’empreinte, de la transmission et de l’espérance. Une œuvre sensible, vibrante et solaire qui fait de l’utopie un possible.

Née en 1943, Monique Frydman fut sauvée de la déportation avec ses parents par des villageois qui les cachèrent dans leur village de Nages, dans le Tarn. De cette histoire personnelle sont nées cinquante ans plus tard Les Dames de nage (1995), des toiles d’un vert sombre presque crépusculaire, parsemées de lignes noires comme des ondulations, et dont le titre évoque à la fois ces années clandestines, et cet objet servant à fixer une rame sur une embarcation. Des œuvres exposées la même année au musée des beaux-arts de Caen.

Trente ans plus tard, dans ce même musée, quatre de ces toiles sont présentées en introduction à sa nouvelle exposition, comme une invitation à laisser le passé derrière soi, sans le renier, pour se souvenir et pouvoir dériver enfin, lentement, au fil du temps qui passe, vers le rêve de ce mythique Âge d’or de l’innocence, exempt de toute souffrance et loin de toute barbarie, décrit par Hésiode dans Les Travaux et les Jours, puis par Ovide dans ses Métamorphoses.

Rendant hommage à ce sujet intemporel de la peinture occidentale traité par d’innombrables artistes depuis la Renaissance, Monique Frydman nous immerge alors littéralement dans les couleurs intenses et joyeuses de pigments et pastels qui imprègnent ses grandes toiles lumineuses. Elle les peint au sol, couvrant au préalable la surface d’une colle vinylique pour humidifier le support, avant d’apposer les pigments et d’ajouter des rehauts de pastels frottés et écrasés à la surface, « pour garder la fleur du pastel ». Une peinture pour elle-même, énergique, qui nous évoque l’expressionnisme abstrait de Joan Mitchell, cette artiste américaine qui a peint sur les traces de Monet à Giverny et avec laquelle Monique Frydman a travaillé.

La couleur est au cœur du plaisir esthétique de l’artiste depuis qu’elle est revenue à l’abstraction dans les années 1970, après une courte période réaliste qui lui paraissait mieux exprimer ses engagements militants. L’Âge d’or (1996) en témoigne, immense toile de lin solaire et jubilatoire de 9 mètres de long, créée à l’origine pour l’hôpital l’Archet à Nice et « donner du bonheur aux personnes ». Mais aussi L’Absinthe (1989), grand triptyque sur toile de coton, à la couleur acidulée de cette enivrante fée verte, muse de Baudelaire, de Rimbaud et de nombreux impressionnistes qui en abusèrent, mais en parlèrent ou l’illustrèrent si bien.

Plus joyeuse encore, clin d’œil par sa pétillante couleur rose et jaune au champagne de Veuve Clicquot qui l’a commandée à l’artiste dans le cadre de l’exposition Culture Solaire (2022-2023), l’installation Euphoria of colors. In the Tangerine Space, constituée de tarlatanes teintes, bambou et miroirs au sol, se pénètre -pieds nus- pour en ressentir les bonnes ondes.
Mais l’œuvre phare de cette exposition est Polyptyque Sassetta, un retable monumental et abstrait composé de 19 panneaux sur deux faces. Exécuté pour le salon Carré du musée du Louvre en 2013, il est une évocation du célèbre polyptyque, signé en 1444 par le peintre siennois Stefano di Giovanni, dit Sassetta, hélas dispersé au cours des âges. Avec cette admirable peinture charnelle et spirituelle, Monique Frydman interroge les notions de fragmentation et de disparition, dans un élan de compassion sur ce passé meurtri. Pour se souvenir, ne pas oublier, mais grâce à la couleur, enlever sa dimension tragique, redonner de la vie, s’abandonner à la jouissance de l’art, sans pour autant perdre de vue son sens profond, ici celui du sacré.
L’Âge d’or est une utopie, mais qu’il fait bon se plonger dans les imaginaires paradisiaques créés par les artistes.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 23 mars au 1er septembre 2024
Musée des beaux-arts
Le Château – 14000 Caen
Du mardi au vendredi, 9h30-12h30 et 13h30-18h
Le WE : 11h-18h
Et 7 jours/7 du 1er juillet au 31 août
Tarif : 3,50€ expos et collections
(gratuit moins de 26 ans)
Tél. 02 31 30 47 70
www.mba.cae.fr


À voir aussi au musée des beaux-arts de Caen, jusqu’au 8 septembre 2024 :
Le spectacle de la marchandise. Ville, art et commerce, 1860-1914.


Visuels :

 Monique Frydman, Les Dames de nage II, 4, 1994-1995. Pigments, pastels et liants sur toilede lin, 198 x 190 cm. Musée des Beaux-arts de Caen. Photo L’Agora des Arts.

 Monique Frydman, L’Âge d’or, 1996. Pigments, pastels et liants sur toile de lin, 290 x 860 cm. Photo L’Agora des Arts.

 Monique Frydman, L’Absinthe, 1989. Pigments, pastels et liants sur toile de coton, 190 x 570 cm. Photo L’Agora des Arts.

 Monique Frydman devant In the Tangerine Space, Euphoria of colors, 2022. Bambous, tarlatanes teintes miroirs, 450 x 450 x 300 cm. Photo L’Agora des Arts.

 Monique Frydman, Polyptyque Sassetta, 2013. Pigments, pastels et liants sur panneaux de bois, 330 x 400 x 150 cm. (recto et verso). Photo L’Agora des Arts.