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Anselm Kiefer. Hommage au poète Paul Celan

Spectaculaire impression face aux dix-neuf toiles XXL d’Anselm Kiefer qui s’embrassent d’un seul regard dans l’immense hall en béton brut du Grand Palais éphémère plongé dans une semi-pénombre. On avait l’habitude des grands formats du peintre, mais pour cet hommage au grand poète Paul Celan dévasté par la Shoah, Anselm Kiefer (né en 45), qui enfant a vécu dans les décombres de la guerre, livre une série d’œuvres aussi magistrales que sombres. Une peinture aussi inapaisée que la poésie de Celan profondément marqué par la mort de ses parents dans les camps nazis et son propre passage dans un camp de travail. À la fois témoin et victime du nazisme, Paul Ancel, dit Paul Celan (né en 1920 dans l’actuelle Roumanie mort en 1970 à Paris en se jetant dans la Seine) écrit ses premiers poèmes dès 1940. Le plus connu, Todesfuge (Fugue de la Mort) a pour thème le sort des juifs dans les camps d’extermination, faisant de lui un poète de l’Holocauste, contredisant Adorno, philosophe post-marxiste, selon lequel « il ne peut plus y avoir de poésie après Auschwitz ».

Kiefer déclare que « Paul Celan (…) ne le quitte jamais (…). Il vit en sa compagnie, et tente de façon presque rituelle, d’écrire « sa langue » sur ses toiles. Des toiles immenses, de 8 à 13 m de large, posées sur des charriots à roulettes et entre lesquelles le visiteur déambule un peu abasourdi par tant de dramaturgie et de puissance picturale. C’est une succession de paysages constitués de champs labourés ou fauchés sous des cieux de plomb parfois sillonnés d’éclairs, et griffés de bribes de poèmes ou d’extraits d’œuvres de Celan. Kiefer a l’habitude d’écrire sur ses toiles (en allemand, sa langue maternelle), un élément indispensable de sa composition, une évocation de la connaissance, notamment celle de l’histoire de son pays. Comme souvent aussi, Kiefer a collé des matériaux sur la toile déjà couverte d’épais pigments sédimentés, telle une archéologie de la mémoire. Ici un caddie de supermarché rempli de noirs objets, là des fougères dorées, des pavots séchés, un tronc d’arbre ou encore des épouvantails bourrés de paille. Au milieu des toiles trône un avion de plomb criblé de pavots et couvert de livres de plomb eux aussi (Pavot et mémoire, 2016), un bunker transpercé lui aussi de pavots (Pour Paul Celan – Pavot et mémoire, 2019), un conteneur en acier contenant des tirages photographiques de l’action Occupations, 1969-2021 (série controversée de photos montrant l’artiste faisant le salut nazi dans des endroits publics) montés sur plomb. Des œuvres qui toutes dialoguent entre elles et font écho à une installation monumentale (Arsenal, 2021) constituée des matériaux de son œuvre, rangés comme dans son atelier où l’artiste puise cendre, pierres, plantes séchés, feuilles de plomb, fragments de verre, vieux vêtements, branches, comme dans une bibliothèque de motifs. Une réserve de possibles chargés de symboles. D’ailleurs Kiefer n’illustre pas l’histoire, il la convoque sous une forme symbolique.

Quinze ans après avoir inauguré la série des Monumenta au Grand Palais en 2007, Anselm Kiefer qui vit en France et poursuit son travail sur la mémoire culturelle et politique, celle de l’histoire européenne dont la France et l’Allemagne sont les grands acteurs, est le premier plasticien à investir l’intégralité de l’espace du Grand Palais Éphémère pour ce projet inédit qui restera dans la mémoire de ceux qui le verront. Kiefer n’y parle pas seulement du passé, mais aussi du présent et du futur. Pour l’artiste, des champs de ruines naissent la reconstruction. Des cendres sur la terre une nouvelle moisson. Un espoir donc.

Catherine Rigollet

Visuels : Vue générale de l’exposition « Anselm Kieffer. Pour Paul Celan » – Grand Palais Éphémère. @ L’Agora des Arts, 15 décembre 2021. Avec au premier plan Am Letzten Tor (Au dernier portrait), 2020-2021. Émulsion, acrylique, huile, gomme-laque et craie sur toile, 840 x 470 cm.
Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire), 2016. Avion / acier, zinc, plomb, résine, gomme laque, 3,2 x 10 x 13,6 m.
Denk dir - die Moorsoldaten (imagine-toi – les soldats des marais), 2018-2021.
Arsenal, 2021 (atelier).
© L’Agora des Arts, 15 décembre 2021.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 17 décembre 2021 au 11 janvier 2022
Grand Palais éphémère
Place Joffre, 75007 Paris
Tous les jours de 10h à 19h
Nocturne jusqu’à 21h les vendredi et samedi
(fermeture à 19h les 24 et 25 décembre)
Tarifs : 13 € / 10 €
www.grandpalais.fr