Vers 1608, à Rome, dans un atelier du quartier des artistes, la jeune Artemisia (1593-1654/56 ?) prépare les toiles, brosse les fonds et termine parfois les tableaux de son père, le grand peintre d’origine toscane Orazio Gentileschi (1563-1639) qui lui a appris la technique caravagesque de la peinture sans dessin préalable. L’étrangeté de son statut dans ce monde d’hommes, les bruits qui courent sur sa beauté et sur son talent suscitent la curiosité des peintres. Malgré la jalousie de son père qui cherche à cacher au monde le génie et la sensualité de sa fille, Artemisia va devenir la première femme peintre dans l’Italie Baroque du XVIIe siècle, grâce à son talent et à sa force créatrice. Elle va acquérir gloire et liberté à une époque où les femmes sont considérées comme des mineures à vie. Mais la route sera rude et douloureuse, marquée par un viol et un procès éprouvant qui lui rendra tout de même justice. La manière dont Artemisia surmonta cette épreuve révèle sa résilience, son courage et sa détermination.
À l’issue du procès, Artemisia a épousé un peintre Florentin et s’est installée à Florence. Protégée par le Grand-duc de Médicis et l’amitié de Galilée, admise à l’Accademia del Disegno (une première pour une femme), elle va s’imposer. Dans les années 1620, mère de plusieurs enfants, amie des grands maîtres tels que Simon Vouet et Massimo Stanzione, elle est déjà reconnue par les plus grands collectionneurs européens. La période napolitaine voit son apothéose. Pendant vingt-cinq ans elle dirige son atelier qui emploie des dizaines d’aides, forme les grands talents qui prendront la suite : Cavallino, Spardaro, Guarino….
Portraitiste talentueuse, elle se spécialise toutefois dans des sujets iconographiques peu abordés par les femmes peintres de son époque : héros et héroïnes de l’Antiquité et de la mythologie, figures de la Bible, dans une interprétation où se mêle violence et sensualité comme Suzanne et les vieillards (sa première œuvre signée et datée 1610), Tarquin et Lucrèce ou encore Judith décapitant Holopherne. L’exposition montre une copie ancienne (XVIIe siècle) de cette œuvre célèbre prêtée par la Pinacoteca Nazionale de Bologne. L’original, conservé au Museo di Capodimonte, reprend un thème développé par Caravage.
Artemisia s’éteint probablement en 1654, ou 1656 lors d’une épidémie de peste à Naples, où elle est enterrée, dans l’église San Giovanni Battista dei Fiorentini.
À l’instar de Caravage, il lui aura fallu attendre plus de trois siècles pour être de nouveau reconnue et universellement appréciée. La vie d’Artemisia est bien connue depuis le film d’Agnès Merlet en 1997 et le passionnant roman historique d’Alexandra Lapierre en 1998. En 2012, le musée Maillol lui a consacré une rétrospective. En 2025, c’est le musée Jacquemart-André qui lui rend à nouveau hommage dans un parcours qui réunit une quarantaine de tableaux. Avec des chefs-d’œuvre reconnus de l’artiste, parfois mis en regard de toiles de son père (David et Goliath /Judith et sa servante) et du Caravage (Le Couronnement d’épines), des toiles d’attribution récente (comme David avec la tête de Goliath) et des peintures rarement montrées comme ce tout petit tableau d’Artemisia l’Amour endormi (qui surprend face aux autres toiles souvent monumentales).
Et si, comme chez tous les grands artistes, Artemisia Gentileschi peut avoir ses faiblesses, elle fascine par sa théâtralité, sa violence et sa sensualité. Dans son autoportrait en joueuse de luth, elle nous regarde en coin, un peu nostalgique, mais semble nous dire : « reconnaissez mon talent ! ».
Catherine Rigollet