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Pionnières. Artistes dans le Paris des Années folles

Artistes femmes du début du 20e siècle ? Artistes femmes dans les années 1920 à Paris ? Trop peu de noms féminins nous viennent à l’esprit (en cherchant bien on songe à Suzanne Valadon, à Marie Laurencin...). Et ils sont le plus souvent étrangers (comme Sonia Delaunay d’origine ukrainienne…). Pourtant, des femmes, aux talents discrets pour avoir eu difficilement accès aux institutions qui promeuvent l’art, se sont affirmées, portées par le foisonnement culturel qui caractérise l’entre-deux guerres, s’affranchissant des normes de ce que nous appelons aujourd’hui les rôles de genre.

En nous immergeant dans le Paris des années folles, cette exposition nous invite à découvrir ces femmes, au talent connu, ignoré ou tombé dans l’oubli, dont les goûts, les activités et les préférences sexuelles débordent le domaine de l’art.
Brève mise en contexte : riches ou pauvres, les femmes ont contribué à l’effort de guerre du premier conflit mondial, en travaillant dans les usines, en devenant infirmières, mais, la guerre finie, se sont heurtées à une politique qui reste patriarcale, les exclut des droits civiques et leur impose ses diktats entourant la procréation. Leurs rangs sont augmentés par l’immigration – juive, souvent - et elles ne se laisseront pas faire !

À Paris, les talentueuses s’épanouissent dans le monde de la littérature, bibliothèques ou librairies, comme celle de l’américaine Sylvia Beach ; elles enseignent l’art comme Marie Vassilieff le fait auprès des non-francophones ou Marie Laurencin aux côtés de Fernand Léger. Elles étendent leurs activités artistiques à la mode, à la décoration intérieure, aux costumes, voire aux marionnettes (Sophie Taeuber-Arp) et aux « poupées portraits » (Ida Rubinstein par Germaine de Roton) quand, comme Sonia Delaunay, elles n’ouvrent pas boutique pour leurs propres créations de vêtements ou objets.
Celles qui peignent ont rencontré les modernistes européens : Franciska Clausen, Rita Kern-Larsen ou Marcelle Cahn déposent donc sur leurs toiles formes géométriques ou objets mécaniques sur fonds destructurés. Emilie Charmy (Hania Routchine, nue, 1921) et Mela Muter (Nu cubiste, 1919-1923), elles, n’hésiteront pas à coucher sur la toile, littéralement, de beaux nus féminins.
Pour se remettre des traumatismes de la guerre, les femmes se libèrent : vêtements et cheveux raccourcissent, les prénoms genrés sont modifiés. Ces « garçonnes » seront immortalisées dans le roman éponyme de Victor Margueritte en 1922. « La société ? Je la récuse. Je romps avec elle pour vivre comme une indépendante, selon ma conscience ! Pour vivre, moi femme, comme … tenez ! ce que vous ne serez jamais : un honnête homme ».

Il n’empêche, la maternité ne peut que rester l’apanage des femmes, mais l’on confie les enfants à des domestiques étrangères, portraiturées avec une certaine tendresse (Maria Blanchard, Maternité, 1922). Reine de l’art déco, Tamara de Lempicka, en fait un sujet aux couleurs vives, cadré comme une photo de star hollywoodienne (Mère et son enfant, 1932). Assumant ouvertement sa bisexualité, elle peindra aussi ses amantes ou des artistes lesbiennes ou bisexuelles dans le style coloré et très maniéré qui lui est propre.

Ainsi se développe la notion d’un troisième genre, « neutre », comme le revendique Claude Cahun (Autoportrait, 1929), ou ambivalent comme celui qui sous-tend l’œuvre de Gerda Wegener dont le modèle préféré et l’inspiratrice est son mari trans. L’art se met au service de l’évolution des mœurs. Dans ce contexte haut en couleurs, exubérant, la palette restreinte de Romaine Brooks, ses portraits tout en gris, noir et blanc, son austérité picturale, sont originaux. Même si, comme ses contemporaines, elle affranchit ses portraits féminins – y compris son autoportrait (Au bord de la mer, 1912) - des codes de la femme fatale.

Un siècle plus tard, le visiteur de cette exposition comprendra comment ces femmes talentueuses ont mis en marche et restent une inspiration pour cette « révolution de l’identité » qui n’en finit pas de se terminer.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Tamara de Lempicka, Suzy Solidor, 1935, Ville de Cagnes-sur-Mer, Château-musée Grimaldi. © Tamara de Lempicka Estate, LLC / Adagp, Paris, 2022.
Juliette Roche (1884-1980), sans titre, dit American picnic, vers 1918 (détail). Huile sur toile. Paris, Fondation Albert Gleizes. Photo : © L’Agora des Arts.
Romaine Brooks (1874-1970), Au bord de la mer, 1914. Huile sur toile. France, musée franco-américain du château de Blérancourt, dépôt du Centre Pompidou. Photo : © L’Agora des Arts.
Marie Vassilieff, marionnettes pour la pièce Le Château du roi, 1928. Tissu, carton peint et bois. Collection particulière. Photo : © L’Agora des Arts.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 2 mars au 10 juillet 2022
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard
75006 Paris
Ouvert tous les jours, de 10h30 à 19h
Nocturne le lundi, jusqu’à 22h
Ouvert les jours fériés, sauf le dimanche 1er mai 2022
Tarif plein : 13 €
www.museeduluxembourg.fr