Assouline, Gérald - Photographe et réalisateur de films

D’errances et d’ombres. Poésies d’un mélancolique

Gérald Assouline, comme beaucoup d’artistes, a un monde à lui. Le sien est peuplé d’ombres, d’anges, de villes, de ports et de souvenirs de femmes…En noir et blanc, pour aller à l’essentiel, au sens, à l’émotion. À l’argentique, pour prendre le temps...et pour la qualité de l’image. Certaines photographies nous demandent un effort d’attention pour les lire, les comprendre. Car c’est aussi un monde vu la nuit, « parce qu’on va là encore à l’essentiel, on enlève même la lumière du jour ».

D’ailleurs Gérald Assouline ne cherche pas à documenter, mais à faire surgir une poésie visuelle. Quelle importance d’ailleurs de savoir toujours ce qu’on voit précisément, où on est, quand. On se laisse happer par la lumière poudreuse de ces images pictorialistes, on imagine le monde flottant derrière le filtre du flou du bougé, de la nuit blafarde, du soleil noir, de la fumée d’un bar, du reflet d’une vitrine, de la pluie battant sur les vitres d’un tram ou le pare-brise d’une voiture. On rêve. On tente de se soulager de la réalité. Car le monde vu au travers de l’objectif de Gérald Assouline est sombre. On le sent chargé de passé, de traumas, de mystères avec ces rues neigeuses désertes, ces silhouettes fantomatiques pressées, ces murs lépreux et tagués, ces usines détruites, ces ports sans autre horizon que l’espoir de l’atteindre en cinglant vers le grand large, ces draps froissés par le sommeil ou le plaisir…Seules les femmes sont belles, les enfants joueurs. Encore sont-ils souvent enveloppés d’un halo, d’un sfumato à la Léonard de Vinci qui estompe les contours, adoucit le réel. Les visages et les corps paraissent plus loin, évanescents, séparés de nous. Des anges au milieu des ombres. Le flou est fugace. Le temps est suspendu. La photo devient souvenir, empreinte, mémoire. Une sorte d’archéologie, d’image flottante. Une figuration fugitive, comme chez le peintre Eugène Leroy. Le photographe troque parfois son Leica pour un Holga, « petit appareil-jouet », aux réglages sommaires, avec lequel Assouline s’amuse à chercher la photo accidentelle, incontrôlable. Avant de reprendre la main au tirage.

« Je suis un chasseur d’ombres, hanté par les fantômes » avoue le photographe qui après avoir parcouru de nombreux pays d’Amérique latine, a découvert l’Europe au début des années 2000, dans toute sa richesse, attiré par les confins à l’Est. Fasciné par les espaces frontières, l’entre-deux, mais aussi les traces. Gérald Assouline les cherche sans fin, revenant sur ses pas, retournant dans les villes déjà arpentées maintes fois, sans jamais se lasser, toujours en quête. Traces d’une femme croisée dans un café. Lui souriait-elle ? Traces de Kafka, dans le labyrinthe des rues de Prague. Est-ce pour trouver du sens à un univers labyrinthique et absurde comme celui développé avec angoisse et ironie par l’écrivain qui parcourait la ville de nuit et dont la solitude a pesé sur la vie ? Finalement, ce sont aussi ses propres traces qu’Assouline quête dans ses projets photographiques. Des traces laissées au long de tous ses voyages, y compris intérieurs. Alors pour mieux les conserver, il les réunit en séries existentielles sans toujours se préoccuper de la chronologie, ni du lieu, Bratislava, Cracovie, Kiev, Lublin, Lviv ou Prague…

Son principe réside non pas dans la compilation de successions de voyages, mais dans la réappropriation de ses images en motifs qui s’assemblent et se coulent dans une nouvelle narration presque cinématographique. Comme une métamorphose. Telles ces mini-séries : Des anges dans la lumière ; Je n’ai regardé que les yeux de Clémence ; La lumière est si délicate ; Eastern Ghosts and Angels (qui a fait l’objet d’un livre avec une nouvelle de Nicolas Bokov). Ou encore Let me dream (un photo-film primé dans plusieurs festivals de cinéma ou courts métrages) et la toute dernière : Je cherche Kafka, avec des photos réalisées entre 2001 et 20007. Autant de contes poétiques ou l’on sent que la mélancolie de l’auteur est poussée jusqu’à la jouissance.

Catherine Rigollet (septembre 2021)