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Aux frontières de l’art brut & Hey ! Céramique(s)

Sur une photo (voir ci-contre), l’effet est trompeur ! Que croyons-nous voir ? Un salon aux murs couverts d’étagères de livres, des centaines de livres, posés aussi sur les tables basses qui meublent cette pièce équipée de tapis et de profonds fauteuils … L’effet d’échelle est bluffant puisqu’il s’agit en réalité d’un univers en miniatures mis en scène par Ronan-Jim Sevellec dans une boite d’à peine un mètre de long. L’artiste, qui entretient avec les objets une passion obsessionnelle -jusqu’à oublier toute présence humaine dans ses compositions-, en a composé d’autres aux mêmes dimensions lilliputiennes, et avec la même minutie, tel l’intérieur d’un café turc ou encore l’atelier (à la fonction indéfinissable) d’un dénommé Cornelius Shoonbeke à Ostende. Né en 1938 à Brest, Sevellec s’est formé au dessin, à la peinture et au modelage aux côtés de son père lui-même artiste, puis a réalisé des maquettes pour des productions cinématographiques avant de se tourner entièrement vers le volume et la création de ses boites de reproduction du réel en miniature, dans un rapport à l’intime et à la mémoire.

Ronan-Jim Sevellec fait partie de la quinzaine d’artistes conviés dans cette nouvelle exposition « aux frontières de l’art brut » ou de l’art naïf. Aux frontières, car échappant à l’orthodoxie des positions de Dubuffet. L’art brut voit ses contours perpétuellement évoluer depuis quelques années. On parlera donc ici de l’art singulier d’artistes qui n’ont généralement pas suivi de formation dans une école d’art, sont assez imperméables aux normes et à la critique du public, mais sont possédés par le démon de la création, et souvent obsessionnels.

Comme l’est le travail de Marion Oster (née au Niger en 1960), qui remplit des valisettes d’offrandes (fleurs, poupées, têtes de mort…) comme des ex-votos, mais aux couleurs acidulées et aux éclairages façon néon qui leur confèrent une touche kitsch plutôt joyeuse.
Obsession aussi chez l’artiste japonais Yoshihiro Watanabe (né en 1989) qui fabrique de délicats insectes et autres animaux miniatures, chacun réalisé à partir d’une simple feuille de chêne. D’étonnants origamis qui allient prouesse technique, connaissance de la nature et poésie. Dramaturgie en revanche dans les créatures monstrueuses mi humaines – mi animales, hérissées d’épines, du japonais Shinichi Sawada (né en 1982). Très habile de ses doigts, il fabriquait enfant des petites voitures en papier. Désormais employé dans une boulangerie pour handicapés mentaux (il a été diagnostiqué autiste et parle peu), il passe son temps libre à sculpter dans un atelier à ciel ouvert perdu dans les montagnes verdoyantes de la région de Shiga.

Hey ! Céramique (s)

À l’étage de la Halle Saint Pierre, Martine Lusardy, directrice et commissaire des expositions du musée, poursuit la collaboration avec la revue « Hey ! modern art & pop culture » avec une sixième exposition consacrée à la céramique. Une céramique, vous vous en doutez bien dans ce temple de l’art brut, qui s’émancipe des normes. Souvent délirantes, drôles ou à faire peur, expressionnistes ou narratives, parfois très sophistiquées, les sculptures céramiques sont ici porteuses d’excès, mais aussi de poésie et comme on le constate depuis plusieurs années dans la céramique contemporaine, riches en innovations.

Parmi les 34 artistes de 13 pays, on a remarqué les figures en spaghetti (ou en radicelles selon le regard de chacun) de Carl Richard Söderström (né en 1960 en Suède) ; les figurines en céramique à taille humaine recouvertes de fibres de nylon vertes floquées du sculpteur finlandais Kim Simonsson. Les figures en porcelaine, théâtrales et grimaçantes de l’américaine Kirsten Stingle (née en 1970). Le peuple de créatures étranges et monstrueuses de la française Delphine Bonnet (né en 1971) ou encore les effrayants gorilles de l’américain Joseph Kurhajec. Né dans un ranch d’élevage de visons dans le Wisconsin, paralysé d’un bras après une poliomyélite, il s’est consacré à la sculpture. Ses œuvres sont inspirées de fétiches du Congo, mais aussi de l’art précolombien en pierre des Olmèques, Mayas et Aztèques. Dans ses sculptures à dominante animale, il associe le métal, la céramique, le cuir, la corne, les ossements animaux, révélant des œuvres d’art momifié, chargées à la manière de fétiches et dont le côté effrayant tranche étonnamment avec la bonhommie de l’artiste.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

 « Aux frontières de l’art brut »
Du 20 septembre au 25 février 2024
 « Hey ! Céramique(s) »
Du 20 septembre au 14 août 2024
Halle Saint Pierre
2, rue Ronsard, 75018 Paris
Tous les jours, 11h-18h
Samedi, 11h-19h
Dimanche, 12h-18h
Plein tarif : 10€
www.hallesaintpierre.org


Visuels « Aux frontières de l’art brut » :

 Ronan-Jim Sevellec, Antichambres et vestibules, 1999. Technique mixte. Collection de l’artiste. Courtesy galerie Antonine Catzéflis. Photo L’Agora des Arts.

 Yoshihiro Watanabe, Ohira. Photo L’Agora des Arts. Et détail Giraffe, 2003 – 2017, créé à partir d’une feuille de chêne © Yoshihiro Watanabe.

 Vue de l’exposition « Aux frontières de l’art brut » avec au premier plan : Le Passeur, 2021 (bois, métal, tissu, laine, pierre volcanique) de Ghyslaine & Sylvain Staëlens. Photo L’Agora des Arts.

 Sinichi Sawada, Sans titre. 2010-2012 (détail). Photo L’Agora des Arts.

Visuels « Hey ! Céramique(s) » :

 Kirsten Stingle, Awakening (2022). Grès porcelaineux, sous-glaçures, engobes et teintures. Technique mixte de façonnage et assemblage. Photo L’Agora des Arts.

 Joseph Kurhajec, à côté de Gorillas War (1991, Raku, technique mixte). Photo L’Agora des Arts.