Vous consultez une archive !

Basquiat x Warhol. Ils se sont bien amusés

Officiellement, Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Andy Warhol (1928-1987) se sont rencontrés à New York, le 14 octobre 1982, par l’intermédiaire du galeriste Bruno Bischofberger qui les photographie côte à côte. Dans les deux heures qui suivent, l’audacieux Basquiat s’est emparé de la photo et l’a traduite en peinture, rendant jaloux un Warhol bluffé par la rapidité du jeunot. Rapides, ils le sont tous les deux. En une année, de 1984 à 1985, ils vont réaliser environ 160 toiles « à quatre mains », à un rythme presque quotidien. Si cette collaboration est décriée en son temps, certaines des toiles sont toutefois parmi les plus grandes de leurs carrières respectives.

Les premières sont des modifications assez simples des tableaux du second par le premier. Par exemple : Warhol peint un dollar et Basquiat ajoute « DON’T TREAD ON ME » (« ne me marche pas dessus ») et un serpent, devenus slogan et symbole libertariens. Puis les toiles vont se complexifier. Les sujets de Warhol (titres de presse, logos de General Electric, de la Paramount, des Jeux Olympiques) servent de structure à de véritables séries. Les toiles sont généralement commencées par Warhol qui a retrouvé le plaisir du pinceau et Basquiat admiratif de son aîné initiateur d’un langage inédit et d’un rapport original à la culture populaire, ajoute des motifs et des collages en travaillant au sol. Warhol note dans son journal : « Je crois que ces tableaux que l’on a faits ensemble sont plus réussis quand on ne peut pas dire qui a fait quelle partie ».

Le résultat est une explosion de couleurs et de motifs iconiques entremêlant des intentions artistiques parfois différentes (relation au capitalisme, à la religion…) avec une énergie, une vitalité, un plaisir de peindre qui laissent penser qu’ils se sont bien amusés. Keith Haring qui les a beaucoup fréquentés a témoigné « qu’ils pratiquaient ensemble, mangeaient ensemble et riaient ensemble (…). Chacun encourageait l’autre à le surpasser. Ces collaborations se faisaient apparemment sans effort. C’était une conversation en peinture plus qu’en mots. » (Painting the Third Mind, 4 octobre 1988, New York). Et l’aventure est si exaltante qu’ils vont en peindre d’autres encore à six mains avec l’artiste italien Francesco Clemente (né en 1952), l’un des principaux leaders du mouvement néo-expressionniste, installé à New York en 1981.
Après la grande exposition Basquiat en 2018 (https://lagoradesarts.fr/Jean-Michel-Basquiat.html), la Fondation Vuitton remet le couvert avec cette exposition tout aussi colossale et somptueuse qui se déploie dans tout le bâtiment de Frank Gehry au fil d’un parcours qui s’ouvre sur une série de portraits croisés, Basquiat par Warhol, Warhol par Basquiat et se poursuit avec quatre-vingts toiles à quatre mains, ainsi que des œuvres individuelles de chaque artiste, et un ensemble de travaux d’autres personnalités (Keith Haring, Jenny Holzer, Kenny Scharf…).

« S’y croisent deux esthétiques : à vif et directe, celle de la rage critique et ciblée de Basquiat ; indécidable et ambiguë chez Warhol, celle d’une esthétique de la distance, voire de l’indifférence, non dénuée d’ironie. En commun toutefois, un monde récurrent de drames, violences policières, communication de masse, consommation et imagerie pop, constitue la base d’un dialogue entre les deux artistes », commente Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton.
L’exposition montre bien ce dialogue de styles et de formes qui traite aussi de sujets cruciaux comme l’insertion de la communauté afro-américaine dans le récit nord-américain, un continent dont Warhol a été un des grands fabricants d’icônes, comme le dollar ou la soupe Campbell dont il s’est nourri et qui a nourri son art dans une attaque de la société de consommation… qui lui a finalement rapporté gros. Ouvert par Warhol et Basquiat, ce nouveau langage visuel a été repris par de nombreux jeunes artistes de la scène du graffiti, déjà habitués à travailler ensemble, mais qui vont faire de cette forme collaborative un mode de création essentiel, dopant l’énergie créatrice de la scène de Downtown New York au tournant des années 1970-1980. L’amitié de Warhol et Basquiat s’est quant à elle poursuivie après la fin progressive de leur collaboration, même si l’intensité de leur relation a évidemment diminué. Puis a tourné court après la mort de Warhol en 1987, Basquiat le suivant un an plus tard, victime d’une overdose. Restent leurs œuvres communes, immortelles.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 5 avril au 28 août 2023
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi - 75116
Lundi, mercredi, jeudi, 11h-20h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Week-end, 10h-20h
Tarif plein : 16€
Tél. 01 40 69 96 00
www.fondationlouisvuitton.fr


En parallèle, la Philharmonie de Paris organise la première exposition consacrée à la relation puissante de Jean-Michel Basquiat à la musique. Donnant à entendre autant qu’à voir, Basquiat Soundtracks s’offre comme la bande-son héroïque, multiple et foisonnante d’une œuvre fulgurante, pour laquelle la musique se révèle une clé d’interprétation essentielle – de Beethoven à Madonna, du zydeco à John Cage, de Louis Armstrong à la Zulu Nation. Du 6 avril au 30 juillet 2023.
https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/24617-basquiat-soundtracks


Visuels :
 Jean-Michel Basquiat, « Dos Cabezas », 1982. Acrylique et bâton d’huile sur toile sur châssis en bois. Collection particulière. Courtesy Gagosian.
 Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, « China Paramount », 1984. Acrylique, bâton d’huile et encre sérigraphique sur toile. Collection Nick Rhodes.
 Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, « Eggs », 1985. Acrylique, encre sérigraphique et bâton d’huile sur toile. Collection particulière, Tampa, Floride, États-Unis.
 Vue de l’exposition, galerie 6, scène artistique de Downtown, New York dans les années 1980.
 Chaussures de JM Basquiat, sac de cigarettes Malboro avec bâtons d’huile et tubes de peinture usagés, couvercle de poubelle utilisée comme palette par J.M.B, Acte de naissance de JMB.
 Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, photographie / mur de l’exposition.
Photos : L’Agora des Arts.