Un étrange et -très agréable- silence règne dans les grands espaces de la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Le temps semble suspendu. Les visiteurs déambulent lentement. À peine chuchotent-ils. C’est l’effet Bijoy Jain ! Ce cocktail de sérénité, contemplation, rêverie, silence produit par l’esprit du lieu émanant des créations de l’architecte indien savamment disposées dans cette exposition qu’il a conçue « comme une expérience physique et émotionnelle ». Sculptures en pierre ou en terracotta, énigmatique sphère brune méticuleusement tressée, délicates assises en bambou et fils de soie, panneaux en branchage enduits de blanc ou de couleurs, fragments architecturaux, façades d’habitats vernaculaires indiens. Et cette alternance de lumière et d’ombre…
Né en 1965 à Mumbai en Inde, formé à l’architecture à l’université de Washington de St. Louis, aux États-Unis, Bijoy Jain explore dans son travail les liens entre l’architecture, l’art et la matière (bois, brique, terre, pierre ou encore eau), mais aussi la relation indissociable qui unit l’Homme avec la Nature et les interconnections intuitives et sensorielles entre les êtres humains. Une architecture philosophique, presque cosmique.
Après avoir travaillé à Los Angeles et à Londres, Bijoy Jain est retourné en Inde en 1995 et fondé le Studio Mumbai qui fonctionne comme un groupe interdisciplinaire d’architectes, ingénieurs, maîtres d’œuvre, artisans, techniciens et artistes de tous les continents. Qu’il s’agisse de mobilier ou d’architecture, le temps, l’eau, l’air et la lumière constituent les fondements de chacune des réalisations de ce collectif attaché aux savoir-faire traditionnel et aux matériaux naturels.
À la fondation Cartier, Bijoy Jain a tenté de donner un aperçu, aussi fugace soit-il, de la sensorialité qui émane de l’architecture telle qu’il la conçoit, de la force intuitive qui nous lie aux éléments et de notre rapport émotionnel à l’espace. Pour cette exposition, il a convié également la peintre chinoise Hu Liu aux monochromes noirs qui révèlent des éléments naturels et la céramiste danoise d’origine turque Alev Ebüzziya Siesbye dont les bols d’une immense finesse et sensualité sont posés sur un long socle conçu par Bijoy Jain avec des briques miniatures. Toutes deux partagent la même éthique et rigueur du geste que lui. Et la grande sensibilité, la poésie de leurs œuvres participent à ce mélange d’intériorité et d’extériorité de ce Souffle de l’architecte. Une invitation à ralentir le temps, précieuse en cette période d’intenses turbulences.
Catherine Rigollet
