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Pissarro. L’atelier de la modernité

Un coin de l’Hermitage, Pontoise, 1878 (ci-contre). Cette toile paisible de Camille Pissarro (1830-1903) exhale la senteur des champs et la tranquillité d’un hameau au cœur de l’été. À la blancheur des murs des maisons répond celle de la chemise du jeune paysan debout dans le pré et celle d’un ciel laiteux. Tout le reste baigne dans le vert, du tendre au bleuté. Premier tableau impressionniste à entrer en 1912 dans la Öffentliche Kunstsammlung Basel, la collection publique bâloise, il pose les fondements de sa collection impressionniste. Le Kunstmuseum Basel vient de recevoir au printemps 2021 La Maison Rondest, l’Hermitage, Pontoise (1875) de Pissarro, donné par une collection particulière suisse, complétant la collection déjà acquise de huit peintures, dix dessins et aquarelles ainsi que dix travaux d’art graphique de l’artiste dans laquelle dominent les paysages (Effet de neige à l’Hermitage, Châtaigniers à Osny, L’Étang de Montfoucault, Pommiers à Éragny…)
Attiré par la campagne, Pissarro excelle à peindre en plein air les sentiers, les prairies, les jardins, les routes bordées de peupliers, la vie simple, les travaux des champs, les bords de rivière, comme dans sa période dite de Pontoise, de 1872 à 1884. Une période active qu’il poursuit à Osny, puis à Éragny dans l’Eure. Tout est modèle à peindre sur le motif dans cette région et tout est poésie, même les ramasseuses de choux. Le peintre a éliminé les tons lourds et terreux de sa palette pour peindre désormais avec les couleurs de l’arc-en-ciel.

Dans les années 1880, l’impressionnisme, longtemps sujet à controverse, commence à recueillir davantage l’adhésion du public, à entrer dans les collections particulières et publiques, et à rapporter de l’argent aux artistes. C’est précisément à ce moment-là que Pissarro se consacre à une autre révolution picturale, le néo-impressionnisme défendu aussi par Georges Seurat, Paul Signac, Louis Hayet. Une esthétique radicale basée sur le contraste des couleurs complémentaires. Pour l’artiste, ce pointillisme est une évolution logique de l’impressionnisme auquel il revient toutefois dans les années 1890, mais avec encore plus de couleurs lumineuses, notamment dans sa série de vues parisiennes. En revanche, il respectera toujours la structure des paysages, cherchant à reconstituer les éléments qu’il voit : arbres, maisons ou personnages.
En attendant, Éragny rapproche aussi Pissarro de son idéal anarchiste sous la forme d’une communauté autonome et laborieuse, en l’occurrence essentiellement familiale dans cette propriété de l’Oise qu’il a achetée en 1892. Une grande chambre y sert d’atelier pour Camille le patriarche et ses cinq fils, tous peintres : Lucien, Georges dit « Manzana », Félix (qui mourra en 1897 à vingt-trois ans), Ludovic dit « Rodo » et Paul-Emile.

Si Pissarro ne considère pas ses tableaux comme des professions de foi politiques, sa technique picturale révolutionnaire, son aspiration à l’autonomie et à la liberté en toute circonstance, de même que sa volonté d’emprunter de nouvelles voies envers et contre tous, associent son art à l’idée centrale de l’anarchisme compris comme une libéralisation de l’individu et de ses aspirations. Son identité, sa conception de la peinture, la vision du monde de ce polyglotte engagé, sont le fruit d’une culture aux origines complexes -il est né de parents juifs sur l’île Saint-Thomas dans les Caraïbes, alors colonie danoise, et a été sensibilisé à la diversité ethnique et culturelle dès son enfance-, et d’une volonté constante d’échanger avec d’autres créateurs. Comme avec son fidèle ami Monet, mais aussi Gauguin qu’il aidera à participer à plusieurs expositions des impressionnistes et qui sera presque son élève pendant trois ans, Signac qu’il défend, ou encore Cézanne. En 1872, Paul Cézanne (1839-1906), qui n’est pas encore le maître de la Provence et de la Sainte Victoire, se rend souvent à pied d’Auvers-sur-Oise à Pontoise où vit Pissarro et s’initie grâce à lui à la décomposition de la couleur par tons, éclaircit sa palette, élargit ses touches. C’est aussi grâce à Pissarro que Vincent van Gogh trouve asile chez le docteur Gachet. Pour Christophe Duvivier, historien de l’art, spécialiste de Camille Pissarro, directeur des musées Camille Pissarro et Tavet-Delacour à Pontoise et co-commissaire de l’exposition : « Pissarro était tourné vers les autres. Ce qui est rare en peinture ».

L’exposition, qui réunit quelque 180 œuvres avec des prêts de collections suisses et internationales, révèle la soif d’expérimentation de Pissarro, ses différentes relations avec les protagonistes de l’époque, son goût pour la compagnie des esprits libres, son sens de l’amitié et sa conviction que la beauté resplendit partout. « Heureux ceux qui voient la beauté dans des endroits où d’autres ne voient rien ! Tout est beau, le tout est de savoir interpréter », disait-il. Il le fit très bien.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 4 septembre 2021 au 23 janvier 2022
Kunstmuseum
St. Alban-Graben 8
CH-4010 Basel
Tel. +41 61 206 62 62
Tous les jours, sauf lundi, 10h-18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 20h
Tarif plein : 16 CHF
www.kunstmuseumbasel.ch


 À lire aussi :
https://lagoradesarts.fr/-Pissarro-Le-Premier-des-Impression... (Musée Marmottan-Monet, 2017)
https://lagoradesarts.fr/-Pissarro-a-Eragny-La-nature-retrouvee-.html
(Musée du Luxembourg, 2017)


Visuels : Camille Pissarro, Un coin de l’Hermitage, Pontoise, 1878. Huile sur toile, 54.6 x 65 cm. Kunstmuseum Basel. Photo Crédit : Kunstmuseum Basel Martin P. Bühler.
Camille Pissarro, Les glaneuses, 1889. Huile sur toile, 65.4 x 81.1 cm. Kunstmuseum Basel. Crédit photo : Kunstmuseum Basel - Jonas Haenggi.
Camille Pissarro, Femme au fichu vert, 1893. Huile sur toile, 65,5 x 54,5 cm. Paris, musée d’Orsay, Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) - © Franck Raux.