Le musée Jacquemart-André ouvre le bal des expositions de l’automne consacrées à deux maîtres de la veduta,
ce mouvement pictural dans lequel excellèrent Antonio Canal dit Canaletto (1697-1768) et Francesco Guardi. Veduta (“vue”) est un terme qui apparaît dans l’histoire de l’art chez les peintres italiens de la Renaissance pour qualifier une fenêtre placée à l’intérieur de la scène d’un tableau ouvrant la perspective sur un paysage naturel ou urbain. Gaspar van Wittel (1652-1736), Luca Carlevarijs (16636-1730) et deux autres vénitiens, Michele Marieschi (1710-1743) et Bernardo Belloto (1722-1780) neveu de Canaletto sont aussi des maîtres du genre. Les toiles de ces artistes de la lagune sont la retranscription de fêtes et cérémonies, de monuments de la Sérénissime, un reportage photographique avant l’heure et un moyen de conserver des souvenirs, telle une immense carte postale, pour leurs commanditaires européens dont les plus friands furent anglais comme Joseph Smith, le consul britannique à Venise. L’exposition accorde une place majeure à Canaletto -25 œuvres parmi la cinquantaine présentée-, le confronte à Guardi dans une comparaison des regards croisés mais avec des réponses différentes qu’ils eurent des mêmes lieux, des campi, des canaux comme les toiles du Grand Canal avec l’entrée du Canareggio ou le Campo Santi Giovanni e Paolo. Si Canaletto s’attache à une précision du réel, Guardi incline vers des effets atmosphériques. Une Venise imaginaire, celle des caprices, donne libre cours à la fantaisie, dont l’immense Canaletto Caprice avec architecture en ruine (mélange du forum romain et de la bibliothèque Marciana) ou Bellotto Caprice avec un arc de triomphe sur le bord de la lagune de Belloto.
Le musée Maillol consacre une exposition exclusivement dévolue aux œuvres vénitiennes de Canaletto autour de 41 peintures, mais aussi du Carnet de croquis du Gabinetto dei disegni della Galleria dell’Accademia (exposé au printemps 2012 à Venise au palazzo Grimani), de dessins, d’estampes peu montrées, et l’ajout de quelques toiles de ses contemporains. C’est ainsi que l’on pourra admirer le Canal Grande, si souvent représenté à la hauteur de la Basilica della Salute ou du Rialto, se perdre vers le rio dei Medicanti proche de l’hôpital ou le Canal di Canaraggio e il ponte dei Trei archi, laisser le regard se perdre vers les îles di San Michele, San Cristoforo et Murano vues depuis les Fondamente Nuove. C’est aussi le seul moyen de retrouver l’église San Giminiano sur la place Saint Marc, édifice religieux détruit sous Napoléon pour permettre la construction de l’aile napoléonienne (une partie de l’actuel musée Correr). L’on ne peut se lasser de regarder le Palais des doges et la riva degli Schiavoni ou le Bassin de Saint-Marc depuis la Punta della dogana. Et imaginerait-on en regardant l’extrémité de La Pointe de la Douane qu’une statue contemporaine de Charles Ray se trouverait à la place de deux marins ? Étonnant aussi d’imaginer que L’Escalier des géants, dans la cour du palais des Doges, qu’il peignit vers 1755-1756, est tel que Casanova le descendit lorsqu’il s’enfuit de la prison des plombs dans la nuit du 31 octobre 1756 !
Le Musée Correr de Venise célèbre le troisième centenaire de la naissance de Francesco Guardi (1712-1793) à travers une centaine de peintures et de dessins. Après une formation picturale auprès de son père Domenico, en compagnie de ses frères Nicolò et Antonio, les toiles de ses débuts représentent des scènes de vie proches de celles de Pietro Longhi tel Le ridotto ou Le parloir des nonnes de San Zaccaria. Ses premières vedute, vers 1755, s’inspirent de celles de Canaletto et Marieschi comme la Place Saint-Marc (National Gallery à Londres). En 1746, un anglais lui commande deux grandes vues de la Place Saint-Marc, puis il peint les douze toiles des Fêtes doganales d’après les estampes que Giambattista Brustolon grava lui-même d’après les toiles de Canaletto. Suivront en 1782, les quatre peintures commémorant la Venue du pape Pie VI à Venise puis des toiles célébrant le voyage « incognito » de l’archiduc de Russie sous le nom de comte du Nord. Son style devient de plus en plus libre et allusif, les proportions entre les divers éléments moins importantes, les figures se conçoivent en quelques traits de couleurs, la lagune se dissout dans des vastes étendues d’eau et de cieux. Ses Fantaisies et Caprices représentent des villes imaginaires immergées dans le vert de la campagne vénitienne. Oublié à sa mort en 1793, le 19e le redécouvre. Pietro Zampetti lui consacre une grande exposition au palazzo Grassi en 1965.
Gilles Kraemer
Visuel page expo : Canaletto (Antonio Canal, dit) Vue de Venise : l‘entrée du Grand Canal, avec Santa Maria della Salute, vers l’ouest. Huile sur toile, 194 x 204 cm. Grenoble, Musée de Grenoble. Photographie © Musée de Grenoble (expo Musée Jacquemart André).
Antonio Canal dit Canaletto, La Pointe de la Douane, 1740-1745. Huile sur toile, 27,6 x 37,3 cm. Collection particulière. Courtesy of Jean-Luc Baroni LTD © Courtesy of Jean-Luc Baroni LTD (expo Musée Maillol)