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Cézanne et les Maîtres à la source de l’Italie

C’est une petite huile de Cézanne (31 x 24 cm) au nom ravageur, La Femme étranglée, c.1875-76. Une femme y est renversée, sa blondeur éparpillée ; sur son cou s’acharne son meurtrier, sous l’œil indifférent d’une autre femme. Cette toile expressionniste est mise en regard de Descente de croix,1580, de Tintoret. Premier exemple qui vient étayer ce que les commissaires cherchent à démontrer, à savoir : le “rêve d’Italie” du peintre aixois, sa plongée dans la peinture vénitienne, romaine et napolitaine des 16e et 17e siècles (élargie à Poussin et El Greco), et sa recherche des sensations plastiques porteuses d’émotions, rendant le sujet et le dessin presque accessoires.

Remisé donc, le temps d’une exposition, le peintre brièvement impressionniste...Cézanne (1839-1906) n’a jamais mis le pied en Italie, mais il a beaucoup étudié les maîtres anciens de Rome, Naples et Venise au Louvre et ailleurs. Regardez d’abord Cézanne, est-il conseillé, et tentez d’y voir ce qu’il y a d’italien. En retour, ses œuvres tardives, silencieuses, quasi-métaphysiques inspireront les peintres italiens du début du 20e siècle, jusqu’à Morandi.

La première partie est consacrée aux hommages de Cézanne aux peintres de la Sérénissime, tel Tintoret dont il reprend (et inverse parfois) les compositions géométriques et les obliques, pour ses petites scènes de violence (baroques et maniéristes aux yeux des commissaires) qui ne doivent rien à la Bible ou à la mythologie (Le meurtre, c. 1870). Empruntant à un détail de la Déposition de Ribera du Louvre (qui ne figure pas dans l’exposition), Cézanne offre un superbe exemple de ténébrisme illuminé par un vêtement rouge, de mouvement figé dans l’instant (La toilette funéraire ou l’Autopsie, 1869).

Les portraits empruntent aux maîtres leur délicatesse (D’après Le Greco, la Femme à l’hermine, 1885-86), ou une sincérité dépassant même le beau (Le Jardinier Vallier ou Le Marin, 1902-6). Les paysages cézanniens ne sont pas idéalisés comme ils peuvent l’être chez Millet ou Poussin, avec lesquels il partage le même modèle méditerranéen. Nulle utilisation de la perspective atmosphérique mais plutôt une solidité étayée par les modulations chromatiques. La Pastorale, ou Idylle, 1870 avec ses femmes dénudées et ses hommes vêtus renverrait au Déjeuner sur l’herbe, 1863 de Manet s’ils n’étaient ici accrochés en regard de deux scènes de Poussin.

Quoi de mieux qu’une nature morte pour mettre en valeur les formes, les volumes et les couleurs. Cézanne en fera l’un de ses thèmes favoris et nous laisse trouver dans ses profusions de fruits, pots et verres des “sensations colorées”, au contraire de Cristoforo Munari, à la fin du 17e siècle, qui rendaient les mêmes objets avec une précision photographique. Les compositions de fruits cézanniens inspireront à leur tour les agencements silencieux et ancrés de brocs et pots de Giorgio Morandi.
Cette exposition ne nous offre pas des copies, ni même des appropriations, mais des inspirations et l’occasion de regarder cette soixantaine d’œuvres “avec un œil de peintre” et de découvrir les résonances dans les compositions, les gammes chromatiques, les thèmes. Une approche curatoriale qui n’est pas évidente mais qui vaut d’être découverte.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Cézanne, La femme étranglée, entre 1875 et 1876. Huile sur toile, 31 x 25 cm. Paris, musée d’Orsay. Donation de Max et Rosy Kaganovitch, 1973 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.
Jacopo Robusti, dit le Tintoret, La Descente de croix, 1580. Huile sur toile. 116 × 92 cm. Strasbourg, musée des Beaux-Arts © Photo Musées de Strasbourg, M. Bertola.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 27 février au 5 juillet 2020
Réouverture le mardi 2 juin
PROLONGATION JUSQU’AU 3 JANVIER 2021
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Fermé le lundi et le 1er mai
Entrée : 12 €
www.marmottan.fr


« Martine Martine - Hommage à Martine et Léon Cligman » - Du 2 juin au 11 octobre 2020.
En 2012, l’artiste Martine Martine et son époux Léon Cligman financent la création d’une salle dédiée à la pratique artistique des enfants. L’ouverture de ce nouvel espace marque un jalon important dans le développement de l’action conduite par le musée Marmottan Monet auprès du jeune public désormais en mesure de proposer des ateliers aux scolaires et aux familles, chaque jour ouvré. Le centenaire de Léon Cligman - célébré le 26 mai - est l’occasion de proposer, dans la salle attenante à la galerie des Nymphéas de Claude Monet, un hommage à ses bienfaiteurs. L’exposition intitulée « Martine Martine, hommage à Martine et Léon Cligman » retrace l’engagement du couple et de sa famille dans le domaine des arts depuis le début du XXè siècle et présente une sélection d’œuvres de Martine Martine. https://www.lagoradesarts.fr/Martine-Martine.html