Au cœur du parc du Vexin, à une cinquantaine de kilomètres de Pris, presque perdu au milieu d’un immense parc, le château de Balincourt, plusieurs fois restauré depuis le XVIIIe siècle, est de style classique par son architecture et romantique par son histoire.
Construit -sans doute vers 1780- pour le comte Charles-Louis Testu de Balincourt (1729-1794), originaire du Vexin, le château est l’œuvre de l’architecte Denis-Claude Liégeon, auteur également du parc traversé par le Sausseron et des dépendances. Il est décoré sur toutes ses faces, et enrichi sur sa façade nord d’un imposant péristyle de quatre colonnes ioniques. Il possède également une chapelle ornée d’un tableau de Philippe de Champaigne, selon Jacques-Antoine Dulaure dans sa Nouvelle description des environs de Paris publiée en 1786. Les propriétaires sont exécutés sous la Révolution française et le château devient en 1803 la propriété de Pierre Riel de Beurnonville (1752-1821), comte de l’Empire et futur maréchal de France. Il fait faire le portrait de Félicité-Louise-Julie-Constance de Durfort (1782-1870), la jeune femme qu’il vient d’épouser en 1805, par l’artiste Merry-Joseph Blondel (1781-1853), avec son château comme décor de fond.
Le château restera un siècle dans la famille de Beurnonville. Jusqu’en 1908, où il est acheté par Léopold II, roi des Belges, pour y abriter ses amours avec la toute jeune française Blanche Delacroix, de 48 ans sa cadette. Il y fait faire de nombreuses et luxueuses modifications, modernisant les intérieurs, creusant une piscine pavée de mosaïque d’azur et d’or dans le sous-sol. À ses deux fils nés de cette union, il offre un âne orné de pompons rouges et un poney qui tire un petit tonneau dans l’immense parc du château.
En 1915, le château est acheté pour un million de francs or par le sulfureux marchand d’armes et financier grec Basil Zaharoff (1849-1936) (pour anecdote, on le retrouve parodié dans L’Oreille cassée de Tintin sous les traits de Basil Bazaroff). Il confie à Raffaele Maïnella, aquarelliste, décorateur, architecte et paysagiste d’origine vénitienne, le réaménagement de l’orangerie et de la chapelle, la construction de plusieurs fabriques dans le parc et des aménagements hydrauliques. Le 22 septembre 1924, à l’âge de 74 ans, Basil Zaharoff se remarie au château de Balincourt avec l’amour de sa vie, Maria del Pilar Antonia Angela Patrocinio Simona de Muguiro y Beruete, duchesse de Villa-Franca de los Caballeros (1869-1926). Une belle espagnole rencontrée trente ans plus tôt à bord de l’Orient-Express.
Le château (façades et toitures), le parc avec ses pièces d’eau et ses parties construites sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques par arrêté du 27 février 1989 (source base Mérimée). Aujourd’hui, cette propriété privée, restée dans la famille, a perdu beaucoup de son lustre. La ferme-manoir et les dépendances sont en ruines, comme le bâtiment qui hébergea un maître de poste, tout à la fois charron, maréchal-ferrant et bourrelier. Dans le parc, les fabriques et statues sont très endommagées. Si le château ne se visite pas, on peut l’apercevoir en se promenant.
À partir de Ménouville, en longeant les murs du château, on passe devant l’ancien relais de poste des XVIIe et XVIIIe siècle, puis les ruines de la grande ferme-manoir avec son pigeonnier octogonal. En poursuivant le chemin de randonnée qui contourne le domaine, on peut apercevoir le château, des plans d’eau, quelques éléments des anciennes fabriques imaginées par Raffaele Maïnella et dispersées dans le parc : une arche en pierre surmontée de quatre statues, un petit temple grec, une tour gothique, une fausse ruine…
Surgissent alors des ruines envahies par le lierre les ombres d’un passé, pas si lointain, fantômes de celles et ceux qui ont jadis parcouru les allées. La maréchale de Beurnonville immortalisée par l’artiste Blondel devant son château. Blanche Delacroix, surnommée « Très belle », par son Léopold II et qui la fit baronne de Vaughan avant de l’épouser trois jours avant de mourir. Maria del Pilar et son amoureux Basil Zaharoff qui rêvait même d’offrir à sa duchesse espagnole le Rocher de Monaco. Le rêve fut brutalement brisé par la mort de la belle, mais Zaharoff veuf garda le précieux château de ses amours et s’y fit enterrer.
C.R
Visuels : Château de Balincourt, carte postale Éditeur Seyes.
Portrait de la Maréchale de Beurnonville, par Merry-Joseph Blondel.
Photos du parc : L’Agora des arts, avril 2021.
