Daubanes, Nicolas - Plasticien

Prisons Ships - detail

Prisons Ships - detail

Prisons Ships

Prisons Ships

Hôtel de Ville

Hôtel de Ville

Les Soeurs Papins

Les Soeurs Papins

Mont Aiguille

Mont Aiguille

Ce n’est pas joli de couper les arbres

Ce n'est pas joli de couper les arbres

Seul contre tous

Seul contre tous

L’arche gothique en feu

L'arche gothique en feu

Nicolas Daubanes

Nicolas Daubanes

Lumière dans l’œuvre au noir

À travers le dessin et la sculpture, ses médiums de prédilection, Nicolas Daubanes (né en 1983) questionne la vie, la mort, l’enfermement, l’empêchement, la justice et l’injustice, mais aussi les formes de résistance et de résilience, la quête de liberté. Formé à l’École des beaux-arts de Perpignan, ce fils de menuisier, qui revendique son héritage ouvrier et son goût pour se colleter à la matière, a développé pour s’exprimer un langage plastique utilisant la brique, le béton « sucré » ou encore la limaille de fer, nous confiant : « Je n’aurai pas fait de l’aquarelle. »

La limaille de fer, quel meilleur matériau à ses yeux pour évoquer ce monde d’enfermement qui hante ses réflexions d’homme libre, traduire en œuvres ce qu’il a vu à l’intérieur des prisons lors de ses nombreuses expériences d’ateliers et résidences immersives, depuis près de dix ans. La limaille de fer renvoie à l’omniprésence du métal dans l’espace carcéral constitué de barreaux, de portes blindées, de passerelles et de miradors, mais aussi de limes pour scier les barreaux. Inspiré par les fantasmatiques Prisons imaginaires (1750) de Piranèse, que Marguerite Yourcenar décrivit comme « un monde factice, et pourtant sinistrement réel, claustrophobique, et pourtant mégalomane qui n’est pas sans nous rappeler celui où l’humanité moderne s’enferme chaque jour davantage... », Daubanes nous livre un fabuleux triptyque, L’Arche gothique en feu (2022), constitué de voûtes monumentales, d’escaliers et de passerelles semblant mener nulle part, de cordages se balançant dans le vide comme des gibets…Une immense gravure sur acier aimanté sur laquelle de la poudre d’acier a été projetée, laissant juste à nu le dessin gravé. Une œuvre cyclopéenne au romantisme noir qui aura nécessité cinq semaines de travail à l’artiste, charpenté pour ce défi artistique et physique.
Poursuivant sa réflexion sur l’enfermement et le désir d’évasion, l’artiste a usé d’un autre procédé : projetant avec une meuleuse de la limaille de fer incandescente sur du verre venant s’y incruster comme une magnifique dorure, tout en apportant de la dramaturgie aux images sous-jacentes issues de vues photographiques de forêts, grottes, îles…peut-être des témoins de tentatives d’évasions, de cachettes improvisées par des prisonniers ou des maquisards.

Outre le papier et le verre, Nicolas Daubanes s’est emparé du béton qui peut former des bunkers ou des remparts destinés à se protéger des attaques, mais permet aussi de construire des prisons. Toutefois, en y ajoutant du sucre, l’artiste « sabote » le mortier, et par la même ses monumentales installations. En effet, le sucre, une fois plongé dans la masse totale du béton encore frais, provoque un état de fragilité comme dans la sculpture Seul contre tous (2022) où l’inscription est rongée. L’artiste fait ainsi référence aux tentatives de sabotage des prisonniers contraints à la fabrication du « Mur de l’Atlantique » pour les Allemands, pendant la deuxième guerre mondiale. Il suffisait dit-on de dix grammes de sucre jetés dans l’eau d’une bétonnière, pour enlever à cent kilos de béton tout leur pouvoir de prise.
Cette référence à l’histoire, on la trouve déjà dans Vie quotidienne (2019), une série de portails d’entrée de prisons, de camps de concentration ou d’abris. Nicolas Daubanes s’inspire ici du geste des commerçants de la ville de Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale qui consistait à recouvrir de papier collant leurs vitrines sous forme de multiples croisements. Ces bardages de scotch évitaient, en cas de bombardement, que le souffle ne vienne projeter des morceaux de verre à l’intérieur des magasins. Les vitrines devenant un nouvel espace d’expression, parfois chargés de messages cachés dans le pansement décoratif.

Des œuvres porteuses de souvenirs du passé, d’actes collectifs, de révoltes, de quête de liberté que l’artiste n’a pas mieux exprimés qu’en pulvérisant une porte de prison, celle des Geôles du château de Châteaudun (2021), réduisant en un tas de poudre de bois et déchets métalliques ce qui fut physiquement, visuellement et mentalement l’obstacle sur lequel se heurte irrémédiablement le prisonnier auquel il ne reste plus que l’imagination pour fuir. C’est ce que fait ce prisonnier réel condamné à perpétuité dont l’avatar, guidé par lui-même dans un jeu vidéo, se promène dans les rues (Société, tu m’auras pas !, 2022). Une évasion virtuelle. Un besoin vital pour échapper au confinement du corps et de l’âme. Il y a donc de la lumière dans l’œuvre au noir de Nicolas Daubanes, de la subversion et de l’espoir.

Catherine Rigollet (entretien, 28 janvier 2022)