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Drôles de têtes. Quand les tronies faisaient fureur

Formidable galerie de têtes, si intrigantes dans leur diversité, cette première grande exposition au KMSKA d’Anvers depuis sa réouverture en septembre 2022 illustre la fascination -et le talent- des maîtres anciens pour le visage, qu’il soit un portrait (ressemblant) ou simplement une tête, visant alors à représenter plutôt un type, un sentiment ou encore un trait de caractère. Sans que l’identité du sujet soit importante.

Et tout l’intérêt de Drôles de têtes, « qui n’est pas une exposition consacrée à l’art du portrait », insiste Nico Van Hout, responsable des collections et commissaire, est de montrer la manière qu’avaient des artistes pour les besoins de leurs tableaux de piocher dans un répertoire d’études de têtes dont ils disposaient au sein de leur atelier, voire de motifs (nez, bouche, yeux, expressions, chapeaux…). Des têtes dotées d’une émotion ou d’une expression spécifique, intégrées dans une composition pour illustrer un visage de saint, de vierge, de christ, d’apôtre ou d’anonymes, pêcheurs, paysans, soldats ou bouffons…donnant de la vie aux tableaux, racontant des histoires.

On le découvre dès l’entrée de l’exposition dans ce Portement de la croix (vers 1510), attribué à un disciple de Bosch où le Christ au beau et doux visage est entouré d’une foule bigarrée de personnages aux têtes grotesques et inquiétantes. De même dans ce panneau de Dürer représentant Jésus parmi les docteurs (1506) et dans celui, spectaculaire, de Metsys illustrant Le Martyr de Saint Jean, condamné à être plongé dans l’huile bouillante, (1511). Dans ces œuvres, les artistes souhaitent aussi insuffler la croyance selon laquelle celui qui est laid est mauvais. Et inversement…

Mais au-delà de constituer une réserve de têtes, des sortes de prototypes, ces « tronies » (mot ancien signifiant visages) témoignent aussi, dès le XVe siècle, de la fascination des artistes pour l’expression faciale, qu’on retrouvera au XIXe chez les caricaturistes tels Boilly (Trente-cinq têtes de caractère) et Daumier. En attendant, Metsys, Bruegel, puis Hals, Rubens, Rembrandt, Vermeer en sont s’y passionnés qu’ils peignent des têtes pour le seul plaisir, hors du contexte biblique, mythologique ou historique, produisant des œuvres intimistes remarquables. Des œuvres d’art à part entière. À l’apogée du genre des tronies au XVIIe siècle, ces têtes sont parfois découpées des tableaux pour être vendues séparément et écoulées sur ce nouveau marché florissant qui profite aussi aux petits formats.

On se régale au fil des salles des têtes grotesques de Quentin Metsys comme celle monstrueuse et simiesque d’une vieille femme (The Ugly Duchess, vers 1513) ; référence peut-être à une tête monstrueuse de Léonard De Vinci qui fut très inspiré par la physiognomonie. Des têtes de paysans de Pieter Bruegel I (Tête d’une vieille paysanne), d’études de têtes de Peter Paul Rubens et de visages expressifs comme ceux d’Adriaen Brouwer (La boisson amère), de Joos van Craesbieck (Le Fumeur), de Frans Hals (Garçon riant) ou de Rembrandt (L’Homme qui rit).

Des scènes de genre à figure unique, anonyme, et dans lesquelles les artistes ne négligent pas l’importance de l’ombre et de la lumière pour creuser des joues, renforcer les volumes d’un nez, faire scintiller le blanc des yeux comme ceux de la jeune fille de Michael Sweerts dont la délicatesse évoque l’art de Vermeer (Portrait d’une jeune fille, vers 1654). Ou diriger notre regard sur l’insolite d’un couvre-chef, comme celui plumeux de la mystérieuse Jeune femme au chapeau rouge de Johannes Vermeer ; l’une des plus petites œuvres de Vermeer. L’un des plus magnifiques clair-obscur du parcours revient au visage noyé de tristesse de Jérémie pleurant sur la destruction de Jérusalem. Rembrandt y montre le prophète assis dans une grotte entouré d’objets qu’il a pu sauver du Temple, nimbé d’une lumière dorée irréelle montant de la ville dévorée par les flammes.
Le parcours intègre des espaces récréatifs et d’expérimentation dans lesquels le visiteur pourra se mettre dans la peau d’un artiste et créer sa propre tronie (numérique) avec un couvre-chef insolite, une expression amusante ou des effets de lumière.
Une inédite exposition de drôles de têtes à découvrir… et à vivre.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 20 octobre au 21 janvier 2023
Musée royal des Beaux-Arts - Anvers
Tous les jours, 10h-17h
WE jusqu’à 18h
Jeudi jusqu’à 22h
Tarif plein : 20 €
www.kmska.be


 L’exposition sera présentée à Dublin, du 24 février au 26 mai 2024.


 Catalogue (disponible en anglais, français, néerlandais ou allemand), 34,50€


Visuels :

 Entourage de Jérôme Bosch, Le Portement de la croix, vers 1510. Huile sur panneau, musée des beaux-arts de Gand.

 Pierre Bruegel I, Tête d’une paysanne, s.d., huile sur panneau. Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, Munich. Photo : L’Agora des Arts.

 Quinten Massijs (Quentin Metsys), The Ugly Duchess, vers 1513. Huile sur panneau. National Gallery, Londres. Photo : L’Agora des Arts.

 Rembrandt, L’Homme qui rit, 1629-1630, huile sur cuivre, Mauritshuis, La Haye.

 Rembrandt, Jérémie pleurant sur la destruction de Jérusalem (détail), 1630, huile sur panneau. Rijksmuseum, Amsterdam. Photo : L’Agora des Arts.

 Michael Sweerts, Tête d’une jeune fille, vers 1654. Huile sur toile. Leicester Museum and Art Gallery.

 Johannes Vermeer, Jeune femme au chapeau rouge, vers 1665-1667. Huile sur panneau, National Gallery of Art, Washington DC. Photo : D.R

 Vue de l’exposition avec au premier plan : Adriaen Brouwer, La potion amère, vers 1636-38. Städel Museum, Francfort. Courtesy KMSKA.