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Albrecht Dürer (1471–1528). Gravure et Renaissance

L’événement est assez rare pour ne pas le manquer. Pour la première fois, deux collections majeures d’œuvres d’Albrecht Dürer en France, celle du musée Condé à Chantilly (Oise) et celle de la Bibliothèque nationale de France (qui possède quasiment l’intégralité des gravures sur bois et sur cuivre de Dürer ainsi que neuf dessins), ont unis leurs forces pour réunir 200 feuilles mettant en valeur l’éblouissant talent de graveur de Dürer (1471–1528). Avec des chefs d’œuvre de finesse, de précision des détails et d’érudition. Parmi eux : l’allégorique Melencolia I, une femme ailée monumentale entourée d’instruments de mesure épars, d’humeur sombre, semblant chercher l’inspiration la tête dans la main ; une œuvre qui a suscité d’innombrables interprétations. Mais aussi l’énigmatique Le Chevalier la mort et le diable avec sa vision altière du cheval concentrant toute l’attention du spectateur par sa taille et sa beauté. Saint Eustache qui fourmille d’une minutie de détails, des petits cailloux aux touffes d’herbe. Némésis (La Grande fortune) , dressée sur une sphère et survolant un panorama vu à vol d’oiseau. Le Monstre marin (dit aussi l’Enlèvement d’Amymoné), un monstre mi-homme mi-poisson enlevant une jeune princesse qui lance un regard éploré vers son château ; une œuvre d’une grande sensualité du fait de la nudité de la belle. Ou encore le curieux Rhinocéros, une représentation pour le moins fantaisiste d’un animal que Dürer n’a jamais vu, mais qu’il imagine en s’appuyant sur une description d’un rhinocéros offert au roi du Portugal par un sultan indien en 1515.

Fin dessinateur (son grand talent se manifeste très tôt comme dans l’autoportrait qu’il réalise à la pointe d’argent en 1484, alors qu’il avait tout juste treize ans), Dürer, petit-fils et fils d’orfèvre installés à Nuremberg (Bavière) décide que la gravure sur bois et sur cuivre sera son médium de prédilection. Il devient très vite l’un de ses plus célèbres représentants dans une Europe où la diffusion des images se propage en masse grâce à la gravure apparue vers 1400. Aisément reproductible et transportable, ce médium passe alors les frontières et circule rapidement parmi les artistes. C’est aussi l’un des aspects passionnants de cette exposition que d’évoquer cette révolution de la gravure, ses techniques et ses débuts avec des artistes tels Martin Schongauer (actif à Colmar), Andrea Mantegna (Mantoue) et Antonio Pollaiuolo (Florence). Puis de montrer l’intense émulation entre Dürer et d’autres artistes contemporains au premier rang desquels Jacopo de Barbari et son incroyable Vue de Venise à vol d’oiseau. Composée de six planches gravées sur bois, c’est une œuvre sans équivalent dans l’histoire de la gravure du début du XVIe siècle du fait de ses dimensions (134 x 282 cm au total), du point de vue adopté par l’artiste plaçant le spectateur au-dessus des nuages et de l’exactitude des informations topographiques. Entre admiration, émulation et rivalité, Dürer entretient aussi des rapports artistiques avec Raphaël, Lucas de Leyde et s’inspire des études de Léonard de Vinci.

Immense portraitiste comme l’atteste cette Tête de vieil homme avec une longue barbe absolument magistrale se terminant par un flot de boucles (un dessin à la plume, vers 1905), et reconnu comme tel de son temps, le maître de Nuremberg s’intéresse aussi sa vie durant à la nature et aux différents paysages observés lors de ses nombreux voyages. Comme le souligne Mathieu Deldicque (qui vient de succéder à Nicole Garnier à la direction du musée Condé), « il capturait sur ses dessins, très soigneusement exécutés, de véritables morceaux de nature, constituant pour lui un répertoire de motifs qu’il pouvait réemployer dans d’autres compositions ». À sa mort à 57 ans, Dürer laisse un corpus d’œuvres considérable d’une centaine de burins et de quelque trois cents bois. Cette exposition offre un rassemblement inédit d’estampes de l’artiste, complété de dessins dont des feuilles exceptionnelles issues d’un rare carnet de dessins exécutés par Dürer lors d’un grand voyage aux Pays-Bas en 1520-1521. Un voyage entrepris pour obtenir auprès de Charles Quint le renouvellement de sa pension annuelle et qu’il poursuit ensuite pour satisfaire son insatiable curiosité du monde et ses recherches de théoricien toujours en quête des proportions idéales et d’une définition de la beauté.

Catherine Rigollet

Visuels : Albrecht Dürer, Le Monstre marin (L’Enlèvement d’Amymoné), vers 1498, gravure sur cuivre au burin, Chantilly, musée Condé.
Martin Schongauer, L’Agression de saint Antoine, vers 1470-1473 (détail). Gravure sur cuivre au burin. Paris, bibliothèque nationale de France. Département des estampes et de la photographie.
Albrecht Dürer, Tête de vieil homme avec une longue barbe, vers 1505 ? Plume et encre brune. Paris, Fondation Custodia, dépôt du musée national du château de Malmaison. Photos © L’Agora des Arts, 2 juin 2022.

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 4 juin au 2 octobre 2022
Château de Chantilly (Oise)
Salle du jeu de paume
Tous les jours, sauf mardi
De 10h à 18h
Tarif plein (château, parc, grandes écuries, expos) : 17€
www.chateaudechantilly.fr

 À voir aussi dans le Cabinet d’Arts Graphiques du château : l’exposition « Clouet. À la Cour des Petits Valois ». Et au Cabinet des Livres : « Les Pionniers du livre imprimé. Trésors germaniques du Cabinet des Livres ». Toutes deux sont comprises dans le billet 1 Jour. Jusqu’au 2 octobre 2022.