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Eugeen Van Mieghem. Entre Millet et Lautrec

Artiste méconnu en France, le peintre anversois Eugeen Van Mieghem (1875-1930) a fait de la vie des gens modestes du port d’Anvers et des émigrants en partance pour l’Amérique la source d’inspiration d’une œuvre assez sombre, mais pleine d’émotion. Le musée Pissarro à Pontoise expose près de 80 œuvres dessinées et peintes.

Eugeen Van Mieghem naît le 1er octobre 1875 à Anvers, dans l’auberge familiale In Het Hert, au Quai Van Meteren, juste en face de l’entrée des hangars de la Red Star Line, une compagnie maritime qui, entre 1873 et 1934, va transporter près de deux millions de personnes pleines d’espoir du port d’Anvers vers les États-Unis, avec le rêve d’une vie meilleure. Son père Henri est courtier maritime et sa mère Virginie tient l’auberge. Formé à l’académie d’Anvers, excellent dessinateur, Eugeen observe les pittoresques clients du café : mariniers, matelots, porteurs et raccommodeuses de sacs...et, marqué par le réalisme de Millet, brosse à grands traits sombres quantité de portraits de dockers du port et de migrants juifs contraints à l’exil vers l’Amérique par la multiplication des persécutions en Europe. À partir de 1897, Eugeen Van Mieghem découvre les œuvres d’Edvard Munch au salon annuel du cercle progressiste bruxellois La Libre Esthétique et l’influence de l’expressionnisme norvégien se fait sentir dans ses compositions. Aux antipodes des attentes des amateurs bourgeois par son univers réaliste et social et ses peintures aux teintes sombres accentuant l’effet de misère et de désespoir, il vend peu. Mais il expose. Dans des salons notamment, comme aux côtés de Cézanne, Cross, Sérusier, Denis, Monet, Pissarro, Renoir, Vuillard, Guillaumin, Meunier et Hodler au salon « La libre esthétique » de Bruxelles en 1901.

Loin des luttes ouvrières, dans un style qui évoque Toulouse-Lautrec, il croque aussi des promeneurs endimanchés et son épouse Augustine Pautre. Mais en 1904, Augustine, sa muse, modèle pour les artistes, et soutien financier du ménage contracte la tuberculose. Alors que sa compagne s’affaiblit, Van Mieghem continue de la représenter dans une série d’œuvres poignantes qui rappellent celles consacrées à Valentine Godé-Darel mourante par le peintre suisse Ferdinand Hodler. Éprouvé par la mort d’Augustine, le 12 mars 1905, à 24 ans, Eugeen n’expose plus pendant des années. Il réintègre la vie artistique en mars 1910 au salon annuel de L’Art contemporain. Après la guerre, en dépit du goût du public qui souhaite oublier les souffrances endurées, il expose une série de représentations de combats, et des caricatures de l’empereur et de ses troupes comme dans ce pastel et fusain montrant l’Empereur Guillaume II et le prince Willy devant une armée de squelettes. Il meurt le 24 mars 1930 à 54 ans d’un anévrisme, abandonnant sur son chevalet sa dernière toile : une raccommodeuse de sacs.

Avec le soutien du musée Eugeen Van Mieghem d’Anvers (inauguré à Anvers le 24 mars 1993 à l’initiative de la Fondation Eugeen Van Mieghem, créée en 1982 par Erwin Joos) et de la société de transports Van Mieghem logistics, le musée Pissarro à Pontoise expose près de 80 œuvres dessinées et peintes dans un parcours thématique qui ouvre sur les travailleurs du port d’Anvers et se referme sur les portraits d’Augustine. Une belle découverte qui prend tout son sens au musée Camille Pissarro. Comme ce dernier, Eugeen Van Mieghem a fréquenté des cercles anarchistes et est resté fidèle à ses idéaux tout au long de sa vie. On connait les impératifs d’éclairage pour protéger les œuvres sur papier lors des expositions, mais on regrettera toutefois le manque de lisibilité de nombre d’œuvres. C’est tout particulièrement le cas pour la dernière exposée, Augustine en promenade, pourtant œuvre phare de l’exposition, choisie pour illustrer l’affiche et dont l’accrochage peu flatteur nous la ferait presque manquer.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 5 mai au 7 juillet 2024
Musée Pissarro
17, rue du château - Pontoise (95)
Du mercredi au dimanche, sauf jours fériés
De 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h
Tarifs : 7€/5,5€
www.ville-pontoise.fr/le-musee-camille-pissarro


Visuels :

 Eugeen Van Mieghem, Aux docks, 1912. Huile sur toile, Anvers, musée Eugeen Van Mieghem.

 Eugeen Van Mieghem, Les réfugiés. Huile sur papier marouflé sur toile, vers octobre 1914. Anvers, musée Eugeen Van Mieghem.

 Eugeen Van Mieghem, Augustine au chapeau, vers 1900. Pastel et fusain. Collection particulière.

 Eugeen Van Mieghem, Augustine en promenade (Automne, vers 1900). Pastel sur papier bleu. Collection privée.

 Eugeen Van Mieghem, La rade d’Anvers, vers 1925. Huile sur toile. Anvers, musée Eugeen Van Mieghem.