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Eugène Leroy. Faire pénétrer la lumière dans la peinture

La peinture d’Eugène Leroy (1910-2000) peut sembler mystérieuse, voire hermétique car elle ne s’offre pas au premier regard. On la pense abstraite, elle est figurative, mais demande à être apprivoisée, avant de révéler à celui qui sait prendre le temps de la regarder : sa profondeur, sa lumière, sa sensualité, sa raison d’être.

Toute sa vie, Eugène Leroy a cherché à faire pénétrer la lumière du Nord dans la peinture, avec la frénésie d’un gourmand amoureux de la vie et l’entêtement d’un peintre d’une grande exigence, revenant sans cesse sur ses toiles, accumulant la matière picturale avec une infinité de petites touches de couleurs jusqu’à dissoudre les motifs figuratifs classiques, nus, portraits et autoportraits, paysages, crucifixions, poissons et fleurs, dans un empâtement sédimentaire énigmatique, presque sculptural. « Une peinture glébeuse » disait-il, qui recouvrait tout le sol de son atelier, y compris les chaussons qu’il mettait pour peindre.
Pour Leroy, le modèle n’est souvent qu’un prétexte pour peindre. « Je ne fais pas de tableaux, je fais de la peinture », affirmait-t-il d’ailleurs. Sa peinture, réalisée à l’huile de lin, sans siccatif forme une croûte épaisse, solidifiée, qui cache parfois une matière restée molle, vivante. Une œuvre unique, nourrie des grands maîtres : Raphaël (Trois grâces, vers 1954), Giorgione (D’après le Concert champêtre, 1990-92), Rembrandt (D’après la Ronde de nuit, 1990), Velázquez, Titien…et de beaucoup d’humanisme.

Né en 1910 à Tourcoing et décédé en 2000 à Wasquehal, Eugène Leroy a vécu et travaillé toute sa vie dans la métropole lilloise (études à l’École des beaux-arts de Lille, enseignement à Roubaix). Il réalise sa première exposition personnelle à Lille en 1937, expose en 1956 au Musée des beaux-arts de Tourcoing où il entretient des rapports de complicité avec Jacques Bornibus (1952-1960) son Conservateur. Bien que tardive, la reconnaissance d’Eugène Leroy s’est imposée internationalement, grâce notamment au soutien fidèle du galeriste allemand Michael Werner qui régulièrement montre son travail depuis les années 1980. Leroy sera aussi exposé à New York, Berlin, à la Documenta IX de Cassel (1992), à Nice, Bâle, Toronto, Buffalo, Düsseldorf, à la galerie Bruno Mory à Besanceuil (71) et à Paris. D’abord dans la galerie de son fils Eugène-Jean qui défendra le travail de son père toute sa vie, mais aussi à la galerie de France et au Centre Georges Pompidou qui a présenté la dation Eugène Leroy en 2004-2005. L’œuvre d’Eugène Leroy est aujourd’hui définitivement pérennisé grâce à l’exceptionnelle donation faite en 2009 par ses deux fils Eugène Jean (1934-2011) et Jean-Jacques (né en 1944) au musée de Tourcoing, devenu MUba Eugène Leroy. Elle reste trop méconnue.

Rétrospective et thématique, l’exposition « Eugène Leroy. Peindre », conçue par le musée d’art moderne de la Ville de Paris, met en évidence la singularité et la complexité d’un long processus de création et de recherche picturale. Parmi les quelque 160 tableaux, on découvre des séries moins connues de l’artiste comme les poissons, dont les corps sont évoqués d’un simple trait de brosse (Poisson, vers 1995) ou les fleurs, comme cette rose, juteuse boule rouge émergeant d’une fusion de couleurs entremêlées (Grosse rose rouge, 1993). Dans la salle des ciels et de la mer du Nord, la matière se fait plus fluide. Un vert céladon ou un bleu turquoise illumine les touches de gris. Il faut s’arracher à la contemplation. Petite déception avec le choix des 14 dessins en noir qui clôt l’exposition « éteignant » tristement ce parcours si lumineux. On aurait aimé un final plus éblouissant, avec ses grandes œuvres sur papier, hautes en couleurs (sanguines, aquarelles, gouaches, acryliques, huiles et techniques mixtes) qu’on avait pu notamment admirer dans la galerie de Bruno Mory, à Besanceuil (Saône et Loire), en 2010. Sous l’immense légèreté et fluidité de la touche, elles révèlent la même main et la même volonté de faire apparaître et disparaître des formes en densifiant les traces. Le dessin est une œuvre à part entière chez Leroy, qui ne dessinait pas pour préparer telle ou telle toile, pour étudier une composition, mais qui aimait la liberté offerte par le papier et le geste du dessinateur. Prenez le temps de contempler ses toiles, de rentrer dans la matière et la couleur, et laissez les émotions vous envahir.

Catherine Rigollet

 Le parcours intègre la projection du film d’Alain Fleischer : Eugène Leroy, la voie royale de la peinture, 2010. Production Le Fresnoy et MUba Eugène Leroy, Tourcoing (120 min, projection 3 fois par jours, horaires sur site).
 Autre actualité autour de Eugène Leroy : l’exposition Eugène Leroy. À contre-jour , du 29 avril au 2 octobre 2022 au MUba Eugène Leroy de Tourcoing.
http://www.muba-tourcoing.fr/MUSEE/DONATION-Eugene-LEROY

Visuels : Autoportrait, vers 1958. Huile sur bois, 73 x 58 cm. Collection particulière, Roubaix, France.
D’après Giorgione, 1997. Huile sur toile. Collection particulière, Suisse.
Arbre, vers 1980. Huile sur toile.
Ciel, vers 1958. Huile sur bois.
Paysage, vers 1955. Huile sur toile. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, Roubaix.
Mer du Nord, 1958. Huile sur toile. Collection particulière, France.
Photos : L’Agora des Arts, presse 14 avril 2022.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 15 avril au 28 août 2022
MAMParis
11 avenue du Président Wilson 75016
Tél. 01 53 67 40 00
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30
Tarifs : 12€/10€
www.mam.paris.fr