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Fernande Olivier et Pablo Picasso dans l’intimité du Bateau Lavoir

Fernande Olivier (1881-1966) modèle professionnel pour de nombreux artistes est surtout connue comme la première compagne du jeune Picasso. Dans le cadre de la « Célébration Picasso » (1973-2023), cette personnalité du Bateau-Lavoir et de la vie montmartroise au début du XXe siècle fait l’objet d’une première exposition qui lui est entièrement consacrée.

On entend déjà les grincheux, ou les snobs, et même les authentiques allergiques : encore Picasso ! Oui, une nouvelle célébration Picasso a démarré pour le cinquantenaire de sa mort. Pour cette « Célébration Picasso 1973-2023 », ici portée par le Musée national Picasso-Paris, on n’attend pas moins d’une cinquantaine d’expositions et d’événements en Europe et Amérique du Nord. Pourtant, nous assure Cécile Debray, la présidente du Musée Picasso-Paris, cette célébration privilégiera aux présentations institutionnelles les éclairages « diagonaux » sur l’œuvre et la vie du maître espagnol. Le lancement français de cette année Picasso commence bien avec cette intention de sortir des sentiers battus au musée de Montmartre, là où s’est produite une des plus importantes métamorphoses dans l’art picassien et plus généralement dans l’art moderne.

Si Picasso est forcément présent, ce n’est pas lui la vedette de cette exposition mais Fernande Olivier (1881-1966), Amélie Lang pour l’état-civil, la première compagne française du jeune Pablo entre 1904 et 1912. Ils ont le même âge lorsqu’ils se rencontrent, Picasso de retour à Paris depuis quelques mois et Fernande Olivier, modèle professionnelle sous ce pseudonyme après avoir fui une vie de violence et de drame en 1900. L’exposition se présente sur deux étages (et les pièces plutôt petites du musée sont bien adaptées à cette présentation de l’intimité) en dix chapitres comme les pages d’un livre illustré de la vie de Fernande, de Pablo et de leurs amis du Bateau-Lavoir (et quelle assemblée !) à partir des extraits des deux livres de l’ancienne muse, Picasso et ses amis (1933) et Souvenirs intimes, écrits pour Picasso (1988). Modèle, compagne et muse, peintre et écrivaine, Fernande fut tout cela à la fois, une femme forte et intelligente, dont les souvenirs ont impressionné Léautaud, qui pousse à la publication de « Picasso et ses amis » en 1933.

Modèle, muse, peintre et écrivaine

Acuité du regard, finesse des portraits et des analyses, Fernande a su redonner vie avec talent à cette bohème montmartroise d’avant la Grande Guerre, ce creuset alchimique de l’art moderne, tout en donnant un témoignage rare sur la condition féminine et les relations amoureuses ou simplement de genre à cette époque. La première salle de l’exposition est d’ailleurs intitulée « Fernande Olivier, femme de tête, femme de lettres ». Fernande écrit notamment (dans « Picasso et ses amis ») : « Quelques écrivains, dans leurs livres sur Picasso, m’ont présentée sous le nom de la « Belle Fernande », ce qui m’a donné la mesure de leur appréciation. Je n’avais donc représenté pour eux qu’une valeur toute physique. Au fait, qu’auraient-ils pu savoir de moi ? », ou encore « En France, on a toujours tendance à considérer les femmes comme incapables de pensées sérieuses, surtout dans les milieux intellectuels. Je le sentais et cela me paralysait. »
Autour de ce fil rouge des textes de Fernande, des photos, manuscrits, documents audios et vidéos (un audioguide donne la parole à Fernande à travers des extraits de ses livres) font défiler sous nos yeux forcément ébahis la ronde des créateurs que fréquente le couple, Apollinaire et Marie Laurencin, les couples Braque, Derain et Van Dongen, Max Jacob, Juan Gris et les autres Espagnols de la bohème, Matisse (« le Pôle Nord » selon Fernande qui faisait de Picasso « le Pôle Sud »), Modigliani, Gertrude Stein… Le banquet en l’honneur du Douanier Rousseau (novembre 1908) est à ce titre un des sommets dans la vie de l’espiègle et inventive compagnie ! Cette « bande à Picasso » croquée dans les petites scènes lithographiées de Van Dongen pour l’ouvrage Au beau temps de la Butte de Roland Dorgelès, présentes ici. Au fil des salles, l’intime et l’art s’entremêlent, Fernande modèle pour Ricard Canals (Une Loge à la tauromachie) ou Van Dongen (https://lagoradesarts.fr/-Van-Dongen-et-le-Bateau-Lavoir-.html), pour Joaquín Sunyer aussi, avec un très beau portrait, Fernande un peu partout dans l’œuvre de Picasso tout au long de ces huit années d’amour et d’expérimentation artistique intenses. Car, l’exposition dévoile aussi, avant la gloire et la richesse, un Picasso point encore Minotaure, amoureux même dans ce dessin de leurs corps accouplés en 1904, qu’il conserva toute sa vie, dans l’aquarelle Méditation au chevet de sa belle ou sur la photo floue de 1910 à la tendre pose. Elle accompagne Pablo à Gósol et à Horta, des lieux essentiels de la révolution picassienne : Nu sur fond rouge (1906), tableau et bronze intitulés Tête de femme (1909). Deux dates qui encadrent la création en 1907 de Les Demoiselles d’Avignon et de ses nombreuses études, ces visages de femmes où l’on imagine souvent Fernande en filigrane, nous faisant dire que Fernande est une « Demoiselle » et, quand sa figure se fragmente (Femme assise dans un fauteuil), que Fernande est « cubiste ». Une exposition foncièrement originale grâce au regard intelligent et empathique que Fernande Olivier a porté sur cette incroyable époque, toute frissonnante des émotions de la vie et des audaces de l’art.

Jean-Michel Masqué

Visuels : Fernande Olivier (18811966), Autoportrait, vers 1935. Huile sur toile, 48 x 38 cm. Association La Belle Fernande. Cliché © comediart Archives LBF Association.
Pablo Picasso (1881-1973), Portrait de Fernande Olivier, été 1906. Estampe, épreuve, pointe sèche sur cuivre, tirée par Delâtre, 16,2 x 11,8 cm (hors marge)
Musée national Picasso-Paris © Mathieu Rabeau/Établissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées © Succession Picasso 2022.
Fernande Olivier, Picasso et ses amis (Couverture), édition originale, 1933. Édition stock. Musée de Montmartre, collection le Vieux Montmartre.
Anonyme Pablo Picasso et Fernande Olivier avec leurs chiens, Féo et Frika, devant le Bateau-Lavoir, Paris, v. 1904-1906. Photographie. Musée national Picasso-Paris
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMNGrand Palais/image Centre Pompidou, MNAMCCI.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 14 octobre 2022 au 19 février 2023
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12, rue Cortot (Paris, 18e)
Tous les jours de 10h à 19h
Plein tarif : 15 €
01 49 25 89 39
www.museedemontmartre.fr
https://lagoradesarts.fr/-Le-Musee-de-Montmartre-.html


Catalogue co-édité par le musée de Montmartre et In Fine Editions, bilingue français-anglais, 167 pages, 100 illustrations, 29 €.