Francis Bacon. Portraits

Exposition après exposition, on croit tout connaitre de Francis Bacon (1909-1992) et pourtant on le redécouvre à chaque fois et surtout, la sidération est toujours intacte face aux œuvres torturées de ce peintre figuratif irlandais décidément inclassable qui, comme peu d’autres, a su peindre avec autant d’intensité et de violence, la souffrance humaine et la peur de la mort.

Organisée en collaboration avec la National Portrait Gallery à Londres, l’exposition présentée à la Fondation Gianadda à Martigny s’est concentrée sur le thème du portrait qui domine l’œuvre de Bacon depuis la fin des années 1940.
En une trentaine de tableaux enrichis chacun d’un cartel narratif sur la genèse de l’œuvre, le parcours à la fois chronologique et thématique met aussi en évidence l’évolution technique de Bacon dans sa façon d’envisager le portrait traditionnel, en le contestant et en le démultipliant souvent en triptyques, avec toute la liberté de son absence de formation académique. Parti de chez lui à seize ans, c’est en découvrant une exposition de dessins de Picasso à la galerie Rosenberg à Paris à la fin des années 1920 qu’il décide de débuter une carrière de peintre.

Cinq sections rythment la sélection réalisée par la commissaire Rosie Broadley, conservateur au National Portrait Gallery. On débute dans les années d’après-guerre par l’apparition des portraits dans l’œuvre de Bacon, avec ses personnages qui expriment leur souffrance en hurlant. Suivent les figures inspirées par les maitres, Velázquez, Van Gogh, Rembrandt…Bacon fut un grand admirateur de Rembrandt et conservait notamment dans son atelier des reproductions, tel l’Autoportrait au béret, vers 1659 (prêté exceptionnellement par le musée Granet à Aix-en-Provence), qui sert de fond au portrait de Bacon réalisé par le photographe Irving Penn, en 1962. Bacon a cessé de peindre selon le modèle vivant et brosse désormais la plupart des ses portraits en s’inspirant de photographies et de découpes de magazines éparpillées dans le chaos de son atelier ou en puisant dans sa mémoire. Comme lorsqu’il portraitise ses amis, tels les peintres Lucian Freud et Isabel Rawsthorne.
Il pratique aussi activement l’autoportrait et plusieurs sont exposés, parmi la cinquantaine réalisée durant sa carrière. Un corpus qui le rapproche de celui de Rembrandt. Si ce dernier tentait inlassablement de saisir sa propre apparence, pour Bacon ce fut : « parce qu’autour de moi les gens sont morts comme des mouches, et qu’il ne me restait plus personne à peindre que moi ».

Le corpus le plus torturé est celui de ses amants à la vie aussi débridée que la sienne. Le premier d’entre eux, son grand amour le coléreux Peter Lacy (1916-1962) qui succomba à son alcoolisme en mai 1962, le soir du vernissage de la rétrospective Bacon à la Tate. George Dyer (1934-1971) qui se suicida à l’âge de 37 ans le 24 octobre 1971, la veille de la grande rétrospective Bacon au Grand Palais. Décidément. Et John Edwards (1949-2003), dernier compagnon de Francis Bacon, de quarante ans son cadet, auquel il légua à sa mort (emporté par une crise cardiaque le 28 avril 1992) la totalité de sa succession…Tous furent les sujets de nombre de peintures de Bacon, brossés, voire torturés sur la toile dans des attitudes diverses, immortalisés en fines couches de peinture à l’huile.

Au fil du parcours on retrouve ces visages toujours théâtralisés, déformés, isolés sur un fond sombre comme encagés. Ils vont prendre un peu de couleurs à la fin des années 1950, notamment à partir de l’Étude pour un Portrait de Van Gogh IV (1957). Un artiste que Bacon tenait en haute estime comme aussi Picasso et Giacometti. Si à cette époque ses figures cessent de hurler, elles restent toujours aussi troublantes, distordues, mais colorées (Étude pour portrait (avec deux hiboux) de 1963, inspiré de celui du pape Innocent X de Velázquez). On notera que Bacon titre toujours « étude », même un portrait abouti.
Les tableaux sont accompagnés de nombreuses photographies de Bacon par des photographes de renom (Cecil Beaton, Arnold Newman, Bill Brandt, Mayotte Magnus, Irving Penn...). On ne manquera pas au sous-sol de la fondation, la passionnante interview de Bacon, réalisée dans son atelier, le verre à la main, dans ce début d’ivresse coutumière de celui qui se disait avec humour « presque alcoolique » et qui ne lésinait pas non plus sur la drogue.

Si pour apaiser son obsession du drame, son besoin d’amour et ses angoisses de la mort Bacon a choisi l’introspection de la peinture, « parce que c’est une façon de se retourner vers la vie », il le dit toutefois avec expressionnisme et violence. Une violence dont il avoue toutefois avoir peur, parce qu’il l’a subie dans sa jeunesse, pédéraste assumé rejeté par ses parents. Une violence qui parcourt les relations tumultueuses (et plus) de cet artiste tourmenté, à la sensibilité exacerbée, déclarant dans un grand éclat de rire : « je serais devenu criminel si je n’étais pas devenu peindre ». L’histoire de l’art aurait perdu un génie de la peinture.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 14 février au 8 juin 2025
Fondation Gianadda
Rue du Forum, 59 – Martigny (Suisse)
Tous les jours, 10h-18h
Tarif : CHF/€ 20€
www.gianadda.ch


 Catalogue édition Fondation Pierre Gianadda. 35€


Visuels :

 Francis Bacon, Tête VI, 1949. Huile sur toile, 93,2 x 76,5 cm. Arts Council Collection, Southbank Centre, London.

 Irving Penn, portrait de Francis Bacon, 1962. Tirage platine-palladium. National Portrait Gallery, London.

 Francis Bacon, Étude pour portrait (avec deux hiboux), 1963. Huile sur toile, 198,1 x 144,8 cm. San Francisco Museum of Modern Art.

 Francis Bacon, Étude pour un portrait de Lucian Freud, 1964. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. La collection Lewis.

 Francis Bacon, Étude pour un portrait de Van Gogh IV, 1957. Huile sur toile, 152,4 x 116,8 cm. Tate.

 Francis Bacon, Portrait de George Dyer à bicyclette, 1966. Huile et sable sur toile, 198 x 147,5 cm. Fondation Beyeler, Rihen/Basel.

 Francis Bacon Autoportrait, 1972. Huile sur toile, 35,5 x 30,5 cm. La Collection Lewis.