L’enfant du pays, François Décorchemont (1880-1971) est célébré cette année dans le musée du Verre de Conches-en-Ouche qui porte son nom par une exposition rétrospective, la première de l’histoire. Outre cette exposition thématique et chronologique présentant 200 œuvres dont 150 objets d’art en verre et vitraux issus de sept musées et vingt-cinq collections particulières, le cabinet d’art graphique du musée accueillera à partir du 21 juin ses dessins préparatoires, ses modèles de pièces et ses cartons de vitraux et le musée du Rouloir, à quelques pas du musée du Verre, présentera son œuvre picturale. Car le maître verrier était aussi un peintre talentueux, influencé par l’impressionnisme, si fertile en terre normande.
C’est d’ailleurs dans cette petite ville de l’Eure où il est né que François Décorchemont passe les douze premières années de sa vie auprès de son grand-père maternel, l’ébéniste d’art François-Michel Laumonier, qui lui enseigne le dessin et la peinture. Il rejoint ensuite ses parents à Paris pour poursuivre ses études ; son père Émile, collaborateur de Jean-Léon Gérôme, enseigne la sculpture à l’École des Arts décoratifs. François intègre tout naturellement cette école où il s’intéresse à la céramique et à la technique du verre. La première des quatre sections de l’exposition, « L’éveil artistique », documente cette période à travers diverses pièces dont des études aquarellées de fleurs, d’orfèvrerie et de petit mobilier, et quelques toiles car il profite de ses nombreux séjours en Normandie pour continuer à peindre sans songer cependant à faire carrière dans cette discipline.
PEINTRE CÉRAMISTE
Celui qui se disait plutôt « peintre céramiste » que « maître verrier », selon son petit-fils Antoine Leperlier à qui il a enseigné les techniques de la pâte de verre poursuit plutôt en 1903 ses recherches dans l’art du verre, « la production d’une matière souple et vitrifiable, capable d’être modelée et d’accueillir des couleurs dans la masse ». Ainsi il crée des petites coupes ajourées de motifs végétaux stylisés composées de pâte de verre fine estampée dans des moules en plâtre. En 1907, Décorchemont installe un four à pétrole dans son atelier de Conches, atelier toujours visible « dans son jus » (visite virtuelle sur www.6images.fr/visite-virtuelle) au rez-de-chaussée de la maison qu’occupe aujourd’hui son arrière-petite-fille Juliette, elle aussi artiste verrière (www.juliette-leperlier.fr ), fille d’Étienne et nièce d’Antoine, les deux petits-fils que François a initiés dans les années soixante.
En 1909, ce dernier commence ses premières expérimentations de moulage de verre dérivées de la fonte du bronze à cire perdue. Cela nécessite la création de modèles en plâtre et en cire, mais aussi de moules et contre-moules en matériau réfractaire dans lesquels s’opère la fusion du verre. En 1912, Décorchemont réalise ses premiers vases en pâte de verre épaisse. C’est cette période des années dix, influencée par l’Art nouveau, que nous découvrons dans la deuxième partie de l’exposition. La technique du verre à cire perdue constitue l’apport majeur de Décorchemont à l’art du verre, montrant aussi qu’en lui l’artisan et l’artiste ne faisaient qu’un.
LA QUÊTE DE TRANSPARENCE
S’il continue de peaufiner sa technique, Décorchemont fait évoluer son approche artistique dans l’après-Grande Guerre marquée par un passage d’un décor sculptural à un décor de surface. Dans le même temps, son principal marchand parisien, Georges Rouard, lui permet de diffuser son œuvre auprès de grands collectionneurs français et de se faire reconnaître dans les grandes expositions internationales. Il poursuit sa quête de la transparence, de la pureté des lignes et des formes, délaissant pour un temps la polychromie. C’est ce que dévoile la troisième section « Art déco et modernisme ». Entre la fin des années vingt et le début des années trente, Décorchemont est confronté à des difficultés financières qui l’amènent à répondre à des commandes (Grand bol taillé à anses cubiques). Il se renouvelle et « retrouve » la lumière en créant ses premiers vitraux en pâte de verre sertis de ciment. C’est un succès qui lui offre son premier grand chantier de verrières (300 m2) pour la nouvelle église parisienne Sainte-Odile (17e arrondissement) entre 1934 et 1938.
LES VITRAUX
Désormais, et notamment après les destructions subies par les églises durant la Seconde guerre, l’activité de création de vitraux pour des édifices religieux comme laïcs domine la production artistique de Décorchemont même s’il continue à créer quelques rares objets d’art en pâte de verre. Et parallèlement, il poursuit aussi dans un relatif anonymat une œuvre picturale qu’il exposera jusqu’à sa mort. Le discret et inventif François Décorchemont a bien été cet « alchimiste de la matière, de la couleur et de la lumière » qui a su de surcroît transmettre son « feu sacré » à une partie de sa descendance toujours vivante et créative.
Jean-Michel Masqué