Dans un fin et obsessionnel maillage graphique d’où émergent ça et là quelques formes, Fred Deux semble murmurer ses pensées. Son œuvre, inspirée par celle de Paul Klee, le peintre de sa vie à qui il doit sa voie, a toujours été vouée à l’introspection, comme pour expulser des angoisses toujours enfouies. Celles qui le taraudaient enfant lorsqu’il habitait avec sa famille dans une cave, celles vécues plus tard face à la maladie et à la crainte de la faucheuse ; des tourments que cet artiste-philosophe a aussi évoqués dans ses écrits, notamment son livre le plus important : La Gana (1957), roman largement autobiographique.
Ses dessins, « ses taches » dit-il, à la plume ou à la mine de plomb, sont tracés sur un léger voile de peinture, le plus souvent monochrome, vert pâle, rouge sang, bleu, jaune, parfois infiltré d’une autre couleur. C’est étrangement cette peinture, très diluée, jetée de manière aléatoire sur la feuille, qui va servir de support au dessin et déterminer sa forme originelle. Ce fond de couleur(s) qu’il prépare d’avance et observe ensuite avec attention, joue un grand rôle dans sa nouvelle composition, inspire l’ambiance, puis le trait qui puisera dans l’obscurité d’un passé douloureux pour construire des mondes peuplés d’êtres fantasmagoriques ou des univers labyrinthiques, bouleversants, mais toujours poétiques, comme dans ses dernières œuvres. « Est-ce du dessin ? », s’interroge d’ailleurs Rainer Michael Mason, qui signe des textes du livre « Dessins bruissants, pensées murmurantes », édité par la galerie Margaron, qui reproduit la cinquantaine d’œuvres récentes présentées dans l’exposition.
Des dessins sur fond de peinture, réalisés par Fred Deux durant ces trois dernières années dans son atelier de la Châtre, dans le Berry, où il est installé depuis 1985 avec sa femme, l’artiste Cécile Reims. Des œuvres toujours d’une grande précision, jamais répétitives et d’une puissance créatrice étonnante. Pourtant, durant cette période, Fred Deux âgé de 89 ans a subi une opération chirurgicale lourde. Un mois après, cet artiste qui se renouvelle à chaque dessin et ne cesse de surprendre, titrait une œuvre : « Fred Deux le dur, l’exigence de vivre » !
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Fred Deux, Fort et très en rêvant, 2011, mine de plomb, crayon de couleurs et encres de couleurs, 66 x 50 cm.
Visuel page d’accueil : Fred Deux, Un rêve qui me caresse, 2011, mine de plomb, encre de couleur et or, 66 x 50 cm. Courtesy Galerie Alain Margaron.