La peinture en spectacle
Grand dramaturge, Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938) n’a pas son pareil pour peindre des scènes de massacre dégoulinantes d’hémoglobine et chargées de détails d’un réalisme cru.
Historique et mythologique, souvent grandiloquente, outrancière, proche de l’art pompier, sa peinture « à sensation » a d’ailleurs laissé son empreinte sur le théâtre et le cinéma naissant. Mais si le style mélo porte parfois à l’ironie, on se plonge avec une certaine délectation dans ces images hollywoodiennes qui décrivent des scènes de tuerie, d’assassinat ou de vandalisme accompagnant la chute des villes, des dynasties, des empires ou des civilisations. Surtout que l’artiste est capable de nous surprendre quand il abandonne ses mises en scène théâtrales façon Cecil B. DeMille (La Curée, L’Incendie de Persépolis, Vitellius traîné dans les rues de Rome par la populace, les Héros de Marathon, etc) et son style académique pour s’adonner à des illustrations ou à des petites huiles impressionnistes d’une grande délicatesse de la couleur, comme ces Vues de la baie de Carthage et de la baie d’Alger (1894) ou cette superbe Mort de l’aigle, illustration à l’aquarelle pour Les Trophées de José-Maria de Heredia.
Beau-fils du poète parnassien Théodore de Banville, Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938) formé à l’académie Julian, puis dans les ateliers de Jules Lefebvre, Gustave Boulanger et Alexandre Cabanel, devient à la mode dans les salons de la Troisième République avec sa peinture d’histoire spectaculaire, largement inspirée par l’Antiquité. Illustrateur de Victor Hugo et de Gustave Flaubert (son illustration de Salammbô lui inspirera de nombreux tableaux personnels), décorateur sollicité par l’État, cet artiste acharné au travail et d’un naturel plutôt timide cache un enflammé qui aime l’orientalisme (il séjourna longuement à Alger), la musique wagnérienne et les belles femmes qu’il peint avec érotisme. Jamais Rochegrosse n’avait fait l’objet d’une exposition monographique. Il est vrai qu’au début du XXe siècle, l’histoire de l’art a vite balayé la peinture d’histoire du XIXe, face à l’arrivée des avant-gardes. Un jugement un peu révisé depuis l’ouverture du musée d’Orsay en 1986.
Rochegrosse sort donc de l’ombre en 2013 grâce à une exposition labellisée « d’intérêt national », entièrement dédiée à son univers, et conçue par le musée Anne-de-Beaujeu, à Moulins (Allier, Auvergne) qui possède la plus importante collection publique d’œuvres de l’artiste ; un fonds initié à la fin du XIXe siècle et qui s’est progressivement enrichi. Le parcours qui montre toutes les facettes de Rochegrosse, rassemble un ensemble exceptionnel d’œuvres issu du fonds du musée, complété par des prêts de collections publiques et privées. L’entreprise n’a pas été simple et les lacunes sont nombreuses regrettent les commissaires. Ainsi la fameuse mais trop grande Andromaque (479 x 335 cm), toile exposée par l’artiste alors âgé de 22 ans au Salon de 1883 est restée au musée des Beaux-arts de Rouen et on ne verra pas l’Assassinat de l’empereur Geta, toile roulée dans les réserves du musée d’Amiens et connue que par des petites études à l’huile ou des reproductions en noir et blanc. Peut-être retrouvera-t-elle un jour les cimaises du musée de Picardie, comme c’est le cas cet été 2013 de l’immense Lady Godiva de Jules Lefebvre (1836-1911), un des maîtres de Rochegrosse.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Georges-Antoine Rochegrosse, Salammbô, 1886, huile sur toile 170,3 x 110,7 cm. © musée Anne-de-Beaujeu (Moulins), Jérôme Mondière.