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Georgia O’Keeffe (1887 – 1986). Conquérante du modernisme américain

Disparue à 98 ans, Georgia O’Keeffe (1887-1986) aura traversé l’essentiel des aventures esthétiques du XXe siècle, expérimentant l’abstraction dès 1912, adhérant au modernisme américain des années 20 avec un goût qui va s’affirmer pour la nature, les fleurs, les paysages, les espaces infinis comme les déserts ou le cosmos et qu’elle traduira avec sensibilité, épure et raffinement des tons.

Originaire de Sun Prairie, dans le Wisconsin, Georgia O’Keeffe a toujours eu soif d’espace, de liberté et de peinture. Depuis sa jeunesse elle voyage, avec ses parents, pour ses études, puis pour découvrir de nouveaux horizons. Dès le début des années 1910, elle participe à la vie artistique américaine et va vite s’imposer auprès des critiques et des collectionneurs. À New York, en ce tout début de XXe siècle, le photographe Alfred Stieglitz, co-fondateur en 1905 de la galerie 291 sur la Cinquième Avenue, organise les premières expositions américaines de Rodin, Matisse, Picabia, Picasso, Cézanne et Brancusi. Georgia O’Keeffe découvre ces artistes novateurs de l’art moderne européen et souhaite, comme eux, exposer à la galerie 291. En 1916, elle fait parvenir depuis le Texas où elle enseigne de grands fusains emprunts de naturalisme, des formes en spirales inspirées de l’Art nouveau. Stieglitz séduit par leur côté inclassable, au-delà des modes, les expose aussitôt. Il consacrera chaque année une exposition aux œuvres récentes de Georgia, devenue entre-temps son amante, et photographiera aussi sa nouvelle muse, de vingt-trois ans sa cadette, sous tous les angles. Il ne sera pas le seul. Devenue une figure médiatique, O’Kleeffe fera face à l’objectif de nombreux et célèbres photographes durant sa longue vie, Todd Webb, Cecil Beaton, John Loengard, Ansel Adams...Autant charmés par ses tableaux que par son jardin potager, sa cuisine bio et sa maison à l’esthétique dépouillée, mais meublée avec des pièces signées Knoll, Saarinen, Eames et Calder, des tapis navajos et des poteries indigènes.

Il aime la ville, elle aime la campagne. Alors depuis 1920, le couple partage sa vie entre New-York où Georgia, depuis leur appartement au 30e étage, peint des gratte-ciels fantomatiques sous la voûte étoilée (The Shelton with Sunspots, N.Y, 1926), et Lake George dans l’État de New York où elle accouche d’un monde végétal telles ses célèbres fleurs zoomées jusqu’au monumental (Jimson Weed/White Flower No.1, 1932). À l’aquarelle ou à l’huile, mais toujours avec une touche fluide, c’est la nature qui infusera son œuvre sa vie durant. « J’ai découvert que je pouvais dire des choses avec des couleurs et des formes que je ne pouvais pas exprimer autrement. Je n’avais pas de mots pour cela ».
Ignorant les conventions à une époque où l’indépendance des femmes est mal vue, elle part s’installer au Nouveau-Mexique dans les années 30, tout en retrouvant épisodiquement Alfred Stieglitz à New York. Dans ce monde aride autour de son Ghost Ranch, « finalement je me sens à ma place – je me retrouve enfin », écrit-elle au critique Henry McBride. Elle ramasse des crânes et des cornes de chevaux et vaches qu’elle peint – également surdimensionnés, flottants au-dessus de paysages désertiques (Ram’s Head, White Hollyhock-Hills New Mexico, 1935). Elle couche des soleils sur des paysages lunaires. Elle s’empare des collines en les fendant en deux érotiquement comme deux grosses fesses (Black Hills with Cedar, 1941-42). Certains critiques évoquent l’Origine du monde (1866) de Courbet. Si Georgia O’Keeffe revendique une forme de sensualité dans son travail, elle explique en plissant ses yeux malicieusement lors d’une interview (à ne surtout pas manquer en fin d’exposition), que les gens y voient ce qu’ils veulent y voir.

Fascinée par la porte d’une hacienda dans le village d’Abiquiú, elle l’achète et y emménage en 1945. Elle immortalise le patio de cette maison baignée de lumière d’un minimaliste carré noir sur fond blanc (My Last Door, 1952-54) et d’une version en fond rouge-orangé façon Rothko qu’elle apprécie (Black door with Red, 1954). Elle symbolise d’un long ruban noir ou bleu sur une immensité immaculée la route qui la relie au monde (Road to the Ranch, 1964). Un minimalisme de ses tableaux qui lui vaudra la reconnaissance d’une nouvelle génération d’artistes. Jamais Georgia O’Keeffe ne privilégiera un langage plutôt qu’un autre et fera tout au long de sa carrière de nombreux allers-retours entre figuration et abstraction. Jamais elle ne se départira de l’harmonie de ses tons, de la fluidité de sa touche, de la plénitude de ses formes, du symbolisme de ses motifs, de la délicatesse de son regard sur le monde.
Plutôt qu’un parcours strictement chronologique, Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition a d’ailleurs privilégié des rapprochements de motifs. Dans l’immense salle du musée à peine compartimentée, on s’y perd d’abord un peu. Puis on prend le parti de s’y promener librement. Atteinte d’une DMLA à la fin de sa vie, Georgia O‘Keeffe presque aveugle ne peindra plus que grâce à sa mémoire. Toutefois, « la clarté de sa vision esthétique demeurait intacte », écrit Alicia Inez Guzman (native du Nouveau-Mexique) dans sa vivante et intimiste biographie consacrée à l’artiste (Flammarion, 2021). La rétrospective présentée au Centre Pompidou jusqu’au 6 décembre 2021, parcourt l’œuvre de cette artiste avant-gardiste, féministe et romantique, au travers d’une centaine de peintures, dessins et photographies, dont beaucoup issus du Musée Georgia O’Keeffe de Santa Fe (Nouveau-Mexique, États-Unis). Son monde est simple et beau.

Catherine Rigollet

Visuels : Georgia O’Keeffe, Red, Yellow and Black Streak, 1924. HsT, 101,3 x 81,3 cm. Centre Pompidou Musée national d’art moderne, Paris. Don de la Georgia O’Keeffe Foudation, 1995.
Georgia O’Keeffe, Jimson Weed/White Flower No. 1, 1932. HsT, 121,9 × 101,6 cm
Crystal Bridges Museum of American Art, Bentonville, Arkansas © Georgia O’Keeffe Museum / Adagp Paris 2021.
Georgia O’Keeffe, Ram’s Head, White Hollyhock-Hills. New Mexico, 1935. HsT, 76,2 x 91,4 cm. Brooklyn Museum. Bequest of Edith and Milton Lowenthal.
Georgia O’Keeffe, Black Door with Red, 1954. HsT, 121,9 × 213,4 cm. Chrysler Museum of Art, Norfolk, Virginie. Bequest of Walter P. Chrysler, Jr. Photo © Chrysler Museum of Art, Norfolk, VA
© Georgia O’Keeffe Museum / Adagp, Paris, 2021.
Georgia O’Keeffe par Stieglitz, 1918, Rochester, George Eastman Museum.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 8 septembre au 6 décembre 2021
Centre Pompidou
Tous les jours, sauf mardi
De 11h à 21h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Tarif plein : 14€
www.centrepompidou.fr


Le Fondation Beyeler propose une rétrospective Georgia O’Keeffe du 23 janvier au 22 mai 2022.
https://www.fondationbeyeler.ch/fr/expositions/georgia-okeeffe
 À lire : Georgia O’Keeffe,. L’espace pour liberté.
Alicia Inez Guzman. Ed. Flammarion, septembre 2021. 25€