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Germaine Richier (1902-1959). L’ouragane

Formée à la tradition d’Auguste Rodin et d’Antoine Bourdelle, née en même temps qu’Alberto Giacometti avec lequel les influences croisées sont manifestes, Germaine Richier (1901-1959) a toujours été présente dans la sculpture moderne, de ses premières sculptures classiques des années 1930, à celles radicales d’après-guerre, inventant de nouvelles images de l’humain, jouant des hybridations avec les mondes animal et végétal, préfigurant l’œuvre de Louise Bourgeois ou de César. Elle est aussi la première artiste femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne en 1956 (la même année que Matisse), mais son nom demeure bien moins connu que nombre de ses contemporains, en particulier ses homologues masculins, tel Giacometti. Celui-ci imposera d’ailleurs au marchand Aimé Maeght de choisir entre lui et Richier, laquelle restera de fait longtemps sans galeriste.

Seul l’humain compte

Portraitiste renommée, elle sculptera tout au long de sa carrière une cinquantaine de bustes, attachée à saisir la présence et le caractère propre de ses modèles. Car pour Germaine Richier, seul l’humain compte. Et l’exercice du nu lui permet d’en capter l’intensité dans ses grandes sculptures en pied, telle cette Ouragane (pendant féminin de L’Orage), debout, massive, voluptueuse, ventre et seins gonflés, doigts écartés, évoquant à la fois la violence et la survie. « Mes statues doivent donner à la fois l’impression qu’elles sont immobiles et qu’elles vont remuer", confiera l’artiste dont l’œuvre est durablement marquée par sa découverte des corps pétrifiés à Pompéi, lors d’un voyage en 1935. Elle dira d’ailleurs : « Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleurs. »

Nature et hybridation

Fascinée depuis l’enfance par les insectes et petits animaux souvent méprisés (crapaud, chauve-souris...) de la campagne méditerranéenne où elle est née en 1902 (l’évocation de son atelier animée par sa voix off en témoigne), elle les inclut dans ses sculptures, jusqu’à les hybrider avec l’humain comme cette Sauterelle (1944), une figure féminine prête à bondir qu’elle réalisera en deux autres exemplaires dont un plus grand que la taille humaine et qui tient dans sa main un petit cœur. Dans la même lignée, elle sculpte une Mante religieuse, mimant une posture humaine. Des œuvres qui questionnent la nature de l’homme, entre l’animal et le divin, et dont le modelé brut, parfois même rugueux comme l’écorce d’un arbre, porte la trace de la puissance sensuelle de son travail de la terre.

Dans les années 1950, l’artiste mène différentes recherches sur des matériaux, souvent inédits. Elle introduit notamment de la filasse au sein du plâtre recouvrant l’armature en fer de certaines sculptures (La Chauve-souris, 1946 et Don Quichotte) pour en renforcer l’aspect déchiqueté et accidenté de la surface. Elle incise des os de seiche et les place dans des moules en sable qui seront détruits ensuite par le bronze en fusion, donnant naissance à des miniatures nervurées comme des végétaux ou comme des concrétions marines (série des Seiches, 1954). Elle travaille aussi le plomb, un métal souple qu’elle peut couler dans son atelier, dans lequel elle sertit des morceaux de verre coloré qui irradie de lumière la matité du plomb, comme cet Homme-oiseau (1952) hérissé de pointes piquantes.

Mythe et sacré

Face à son Cheval à six têtes, à ses autres monstres fabuleux (Le Griffu, 1952, d’abord intitulé Le Diable) ou à ces personnages à dimension métaphorique comme L’Eau (1953-54), une femme assise acéphale, sa tête remplacée par un morceau d’amphore antique trouvé sur une plage, on comprend que son art est empreint d’un sentiment panthéiste du monde et son imaginaire pétri de mythes archaïques. Sur commande d’un Christ pour l’église du Plateau d’Assy (Haute-Savoie), elle crée un Christ de douleur, fusionnant le corps de Jésus avec sa croix ; les nœuds du bois révélant seuls son visage (Christ d’Assy, 1950). Son interprétation du sacré n’est pas du goût des catholiques traditionalistes qui imposent le bannissement de la sculpture qui ne retrouvera sa place qu’en 1969. Il est exposé pour la première fois à Paris.

Dans les dernières années de sa vie, Germaine Richier fait le lien avec les tenants de l’abstraction lyrique alors dominante à Paris, tels Hans Hartung, Zao Wou-Ki ou Maria Helena Vieira da Silva, leur demandant de colorer le fond de certaines de ses pièces (La Ville, 1952, œuvre en collaboration avec Vieira da Silva). Elle se met aussi à peindre ses sculptures pour les rendre « plus gaies » dit-elle, plus dynamiques par le contraste entre l’émail et la brillance du bronze, à l’image de L’Araignée émaillée (1956) ou de ce grand Échiquier, réalisé quelques mois avant sa mort précoce en 1959 et qui clôt ce parcours chronologique de près de 200 œuvres (sculptures, gravures, dessins et peintures). Un univers d’une grande expressivité, assez envoûtant.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 1er mars au 12 juin 2023
Centre Pompidou
Galerie 2, niveau 6
Tous les jours (sauf mardi), de 11h à 21h
Nocturne jusqu’à 23h le jeudi
Tarifs : 17€/14€
https://www.centrepompidou.fr/fr/


Organisée conjointement avec le musée Fabre de Montpellier, l’exposition y sera présentée du 12 juillet au 5 novembre 2023.


Visuels :
 Germaine Richier dans son atelier derrière L’Ouragane, Paris, vers 1954. Collection particulière © Adagp, Paris, 2023 - Photo : © Michel Sima/Bridgeman Images.
 Germaine Richier, La Sauterelle (petite, moyenne et grande), 1944. Bronze patiné. Fondeur : L. Thinot. Photo : © L’AGORA DES ARTS.
 Germaine Richier, La Chauve-souris, 1946. Bronze naturel nettoyé. Fondeur : L. Thinot. Musée Fabre, Montpellier. Photo : © L’AGORA DES ARTS.
 Germaine Richier, L’Eau, 1953-1954. Bronze patiné foncé. Fondeur : Susse, Paris. Centre Pompidou. Photo : © L’AGORA DES ARTS.
 Germaine Richier, Le Griffu, 1952. Bronze patiné foncé. Fondeur Susse, Paris.
Collection particulière. Photo : © L’AGORA DES ARTS.