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Gustave Moreau aux sources du Moyen Âge

Au XIXe siècle, le Moyen Âge est très en vogue. Tandis que Viollet-le-Duc (1814-1879) restaure Notre-Dame, y ajoutant par pure fantaisie cinquante-quatre chimères décoratives pour donner à l’édifice une atmosphère médiévale, Gustave Moreau (1826 – 1898) en intègre dans ses peintures avec nombre de licornes, chevaliers, ornementations romanes et gothiques…Puisant ces iconographies dans les enluminures consultées dans les bibliothèques, sur des pièces d’orfèvrerie et des émaux médiévaux observés dans les musées parisiens (Châsse de Limoges du XIIIe siècle au Louvre), dans sa propre bibliothèque riche d’encyclopédies ornementales et illustrées (Le Magasin Pittoresque), dans la littérature (Shakespeare, Walter Scott et Victor Hugo), mais aussi à l’occasion de voyages en Italie, Belgique et Hollande. Un croisement d’influences qui nourrit ses compositions virtuoses, à la touche colorée si particulière, enlevée, se diluant parfois en simples taches abstraites, (ce chantre d’une peinture introspective disait vouloir nous entraîner « vers le songe et l’abstrait ».), sur lesquelles vient se superposer un dessin figuratif au trait noir ou blanc.

L’exposition « Gustave Moreau : Le Moyen Age retrouvé » ouvre sur une évocation des sources médiévales du peintre, puis se poursuit sur des panneaux installés dans les deux ateliers au 2e et au 3e étage de sa maison-musée. Dans chacune des peintures, aquarelles ou dessins (souvent non datés), on s’amuse à identifier les motifs, discrets ou évidents inspirés du Moyen Age et que l’on retrouve parfois réemployés sur des œuvres aux iconographies différentes. La poignée de l’épée d’un jeune croisé (Mort d’un jeune croisé). Les couronnes aux pierreries, les coiffures et les motifs de tapisserie médiévale dans le grand tableau des Chimères. La préciosité des détails et les couleurs évoquant l’enluminure dans l’Étude pour Sainte Élisabeth de Hongrie et le Miracle des roses (1879).

Chimères et licornes

Dans Les licornes, créatures parmi les plus importantes du bestiaire médiéval, Gustave Moreau utilise des motifs d’un diptyque en ivoire conçu au VIIIe siècle. Dans l’allégorique l’Église triomphante, les têtes de chérubins qui composent le corps de l’ange sont copiés d’une miniature d’un antiphonaire de la seconde moitié du XVe siècle de la cathédrale de Brescia. Chère à Moreau, la thématique de l’ange développée autour de 1890 est aussi une manière d’évoquer l’architecture des cathédrales gothiques et il emprunte même à Viollet-le-Duc sa célèbre stryge pensive se tenant la tête dans les mains ; bestiole cornue, mi-homme mi-oiseau devenue l’emblème de la cathédrale Notre-Dame, que l’on discerne ébauchée (en bas à gauche) dans le sublime tableau de l’Ange voyageur. Dans sa toile L’Apparition (apparition fantastique de la tête de Jean-Baptiste devant Salomé horrifiée, le tout dans une architecture fantastique qui mêle motifs décoratifs médiévaux et ambiance orientale), le peintre a ajouté au trait blanc une colonne à partir de chapiteaux romans, et les contours du tympan de l’église Saint-Pierre à Moissac. Cette œuvre énigmatique interroge aussi sur le syncrétisme et le rapport à la religion de Gustave Moreau. Qualifié de « païen mystique » par Jean Lorrain, écrivain et critique d’art à la verve mordante, Gustave Moreau, de parents agnostiques est non pratiquant, mais grand lecteur de Pascal, de Chateaubriand, de Joseph de Maistre et du journaliste catholique Louis Veuillot, il brouille un peu les pistes. Et il est souvent difficile de démêler le divin du païen dans le symbolisme issu de son imagination.

Une exposition pointue, mais passionnante, qui donne l’occasion de (re)visiter l’exceptionnelle maison-atelier de Gustave Moreau dont l’accrochage dense de tableaux accrochés à « touche-touche », sans-soucis de chronologie ou de thématique, reste inchangé depuis son ouverture en musée en 1903. Un musée qui conserve près de 25 000 œuvres révélant les multiples facettes du maître symboliste qui fit rêver une génération de peintres, dont même les Surréalistes.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 novembre au 12 février 2024
Musée Gustave Moreau
14, rue de La Rochefoucault, 75009 Paris
Tous les jours, sauf mardi
10h-18h
Tarifs : 7€/5€
Tél. 01 83 62 78 72
Musée non accessible aux personnes en fauteuil roulant
https://musee-moreau.fr


Visuels :

 Gustave Moreau, Mort d’un jeune croisé. Huile sur toile. Paris musée Gustave Moreau.

 Gustave Moreau, La Mort offre des couronnes au vainqueur du tournoi. Huile sur toile. Paris musée Gustave Moreau.

 Gustave Moreau, Les Licornes. Huile sur toile, 115 x 90 cm. Paris musée Gustave Moreau.

 Gustave Moreau, Les Chimères (détail du tableau de 234 x 204 cm). Huile et éléments d’art graphique sur toile, 1884. Paris musée Gustave Moreau.

 Gustave Moreau, Ange voyageur. Huile sur toile. Paris musée Gustave Moreau.

 Gustave Moreau, Ange voyageur. Graphite, aquarelle, gouache sur papier vélin à grain, 31 x 24 cm. Paris musée Gustave Moreau.

Photos : L’AGORA DES ARTS