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HEY ! Le dessin

Interpeller, convoquer la surprise, la curiosité. Le titre de cette exposition qui met à l’honneur le dessin comme geste créateur fondamental invite à pousser la porte de la Halle Saint Pierre. Et comme à chaque fois, on n’est pas déçu. Il faut dire qu’avec soixante artistes réunis et souvent plusieurs œuvres de chacun, il y a de quoi voir sur les deux étages de ce musée consacré à l’art brut, singulier, outsider. Parfois même trop. Et c’est un peu le défaut congénital du lieu qui fait que certaines œuvres en étouffent d’autres. Il faut donc savoir prendre son temps pour découvrir toutes les pépites de ce parcours qui n’a aucune prétention à l’exhaustivité, ni à une histoire du dessin, mais qui nous propose un large choix et a le bon sens de nous éclairer sur le parcours des artistes (dont beaucoup étaient présents lors du vernissage de l’exposition). On comprendra qu’il est impossible de tous les citer, de décrire tous les styles, tous les courants du fantasmagorique au pop-surréalisme, du libre street-art à l’art brut, de la culture populaire au spiritisme, de la bande-dessinée trash au tatouage. S’il réside ici une grande liberté esthétique (l’altérité artistique étant le meilleur dénominateur commun de toutes ces œuvres qui témoignent d’un vivifiant imaginaire, souvent rebelle et contestataire), octroyons-nous aussi la liberté de la subjectivité dans le choix de quelques œuvres qui ont attiré notre regard et provoqué ce Hey ! de surprise, de curiosité, d’interrogation, de sourire, de rejet, d’émerveillement ou d’émotion.

Dans L’Epopée (2019-2020), Murielle Belin (née en 1976) met en boites comme des reliquaires ses dessins et gouaches inspirés d’iconographies anciennes (peintures d’anatomie, bestiaires fantastiques, imageries religieuses ou scientifiques). Stéphanie Denaes Lucas (née en 1975) a quitté son métier de vendeuse quand une voix lui a intimé l’ordre de peindre. Ses compositions imprégnées d’imageries religieuses et de formes alternatives de spiritualité, transposent des séances de spiritisme, livrant un monde coloré de masques grimaçants, de jambes en l’air et d’animaux à bec.
La pomme de terre est devenue la muse de Serge Paillard (né en 1958) depuis qu’il a quitté le lycée agricole, et a fait germer en lui La Patatonie, un monde imaginaire en constante germination.
Il est aussi question de légumes dans la série « Journal d’une courge » de Jessy Deshais (née en 1966), une autobiographie originale de l’artiste qui, à 49 ans, avait besoin d’exorciser son passage « métamorphique » à la cinquantaine. C’est piquant, cru, parfois désespéré, drôle et toujours sincère. Il y a matière à lire et à partager…

Durant la Grande Guerre, nombre de poilus ont trompé l’attente ou l’angoisse en créant des œuvres d’art avec tout ce qui leur « tombait » sous la main. Pour certains, ce furent de simples feuilles d’arbres séchées sur lesquelles ils ont dessiné, qui une hirondelle porteuse d’une lettre, qui une tête de femme…
Ron Roboxo est né en 1964 aux Pays-Bas, artiste autodidacte, souffrant d’autisme dit « Asperger », il a fui le cadre scolaire pour se consacrer à la bande dessinée et au street art, il expose ici des compositions en reliefs et en couleurs vives qui mêlent personnages et écriture. Né en 1928, François Monchâtre a toujours été fasciné par les machines volantes et machines à rêver. Il s’est mis à en construire à sa sortie de l’École des métiers d’art de Paris, réalisant aussi des Objets Peints Non Identifiés. Exposant chez Iris Clerc en 1963 aux côtés de Tinguely, Atman et César, il a rencontré Alain Bourbonnais, le fondateur de La Fabuloserie où plusieurs de ses œuvres sont aujourd’hui exposées.
Victor Soren (né en 1967) a vite quitté l’école des beaux-arts de Nantes qualifiant aujourd’hui cette expérience « d’absolument détestable et parfaitement inutile ». Après avoir fait tous les métiers pour survivre, ce solitaire dessine à la pierre noire de cauchemardesques portraits d’enfants chargés de traumas (50 et des poussières, 2020-2021). L’américaine Amanda Smith (née en 1979) met aussi en scène des enfants dans d’étranges et équivoques saynètes aux couleurs acidulées, remplies de promesses ou de maux à venir.
Comment ne pas finir par la visionnaire Mina Mond (née en 1974), un personnage aussi extravagant et libre que sa monumentale fresque Cor Triatriatum (2021) en métal, acrylique liquide, feuille d’or et bois gravé. S’y déploie -sans croquis préalable- un récit dense et complexe où se mêle contes et légendes, folklore, illuminations et autofictions ; l’artiste, souffrant d’une maladie cardiaque congénitale considère sa peinture comme un travail de résilience. Si on ajoute à ce florilège la découverte d’un ensemble inédit d’œuvres d’art carcéral japonais, tout le monde devrait trouver matière à faire HEY ! en visitant cette exposition.

Catherine Rigollet

 À ne pas manquer jusqu’au 22 février 2022 au rez-de-chaussée de la Halle Saint Pierre, les œuvres de Jean-Luc Johannet. Cet artiste-architecte-rêveur, inspiré par Gaudi et le Facteur Cheval, a créé, en dessins et archi-sculptures, un monde fantastique d’architectures oniriques, de paysages lunaires. Des œuvres confectionnées avec ses propres déchets et des objets récupérés dans son jardin.

Visuels :
Murielle Belin, L’Epopée (2019-2020). Bois coupé, peinture à l’huile, gouache, vernis, papiers roulés / Dessins : fusain noir, fusain blanc, crayon sépia sur papier Dürer Ingres.
Jessy Deshay, planche 3 de la série « Le Journal d’une courge » (9 planches), 2014-2016. Encre de Chine rouge et noire sur planches lithographiées (1860) d’après l’album botanique Pierre Andrieux (1713-1779) & Vilmorin (1746-1899).
Stéphanie Denaes Lucas, Je n’aime pas le citron vert, 2016. Acrylique (détail).
Victor Soren, 50 et des poussières, 2020-2021 (détail). Pierre noire et brou de noix sur mylar.
Mina Mond, Cor Triatriatum, 2021. Métal, acrylique liquide, feuille d’or, bois gravé (détail).

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 22 janvier au 31 décembre 2022
Halle St Pierre
2, rue Ronsard 75018
Du lundi au vendredi de 11h à 18h
Samedi de 11h à 19h
Dimanche de 12h à 18h
Tarifs : 9€/7€
https://www.hallesaintpierre.org