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HYPERVENEZIA. « Venice Urban Photo Project »

Venise fête en ce moment les 1600 ans de sa fondation, et se lasse d’être une ville-musée surpeuplée qui voit fuir ses autochtones. Peut-être pour la réconcilier avec elle-même, le Palazzo Grassi en propose une approche photographique inédite, « Venice Urban Photo Project ».

On la doit au photographe Mario Peliti qui, depuis 2006, cartographie une Sérénissime entièrement minérale et aquatique, un hymne à l’architecture par l’artiste (né en 1958) qui reçut une formation d’architecte puis devint éditeur et galeriste. Pas d’ombre, pas de figures, l’humain n’a pas droit de séjour. Voilà qui impose de sérieuses contraintes au photographe : privilégier les jours nuageux, les aubes (« douces et pâles », aurait dit Victor Hugo), photographier au ras du sol, et utiliser la haute définition pour mettre en valeur les détails. Le projet ne verra fin que vers 2030. Sur les quelque 12 000 photos en noir et blanc déjà captées, 350 (datant de 2014 à 2021) ont été punaisées côte à côte, à hauteur de regard, en une interminable frise, sur les cimaises des salles du premier étage du musée. Au fil de cette balade linéaire, on visite les sestieri, les quartiers de la ville, passant de petits ponts aux puits des campi, de trouées sur fond de canal aux façades des églises, de murs aveugles à des graffiti sur rideaux de fer. Des photos incitatives pour le regardeur, qui s’offre enfin le rêve d’être flâneur solitaire, d’avoir pour lui seul les merveilles architecturales d’hier, les banalités d’aujourd’hui et les décevantes maladresses industrielles. L’angle de prise de vue lui rend difficile de résister à l’envie de mettre le pied sur la première marche de ce petit pont, de s’asseoir sur ce banc vide face au Canal, de longer telle ou telle fondamenta ou de s’accouder à la balustrade du pont du Rialto, tant la plupart des photos invitent, happent, et retiennent.

Ils sont peu nombreux ceux qui ont vu la ville aussi irréelle, et pourtant bien réelle, que celle que Peliti nous offre, peut-être anxiogène aussi, ainsi privée de ses couleurs, de ses ombres et de son animation ?

Deuxième volet de l’exposition, la déambulation photographique se transforme en projection de centaines de ces photos sur trois grands écrans, au son d’une création musicale de Nicolas Godin, du duo AIR. Mêmes photos, et pourtant une distanciation s’impose, nous restons au bord du quai… avant de clore cette promenade devant un plan de la ville, inspiré de la xylogravure de Jacopo de Barbari de 1500. Les rues et bâtiments minutieusement gravés par Barbari sont remplacés par une mosaïque de petites photos, opportunément placées, qui forme les contours de la carte antique. Placée haut sur un mur, alors que plans et cartes se regardent en général à l’horizontale, Venise décolle, s’envole vers son futur. Merveilleuse utopie pour cette ville que l’on sait s’enfoncer inexorablement dans la lagune.

HYPERVENEZIA offre une vision de la ville des Doges différente, où se côtoient les architectures les plus connues et les recoins les plus ignorés ; où rivalisent la minéralité de la ville et les arbres solitaires qui ponctuent tant des lieux photographiés ; où se confrontent une vision documentaire et une interprétation surréaliste de la ville. À ne pas manquer si on a la chance de faire escale à Venise.

Elisabeth Hopkins

Visuels : San Marco, Corte del Teatro, 2015 © Venice Urban Photo Project / Mario Peliti.
Castello, Via Garibaldi, 2015 © Venice Urban Photo Project / Mario Peliti.
Castello, Sant’Elena, Parco delle Rimembranze, 2020 © Venice Urban Photo Project / Mario Peliti.
Vue de l’exposition au Palazzo Grassi.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 5 septembre 2021 au 9 janvier 2022
Palazzo Grassi
San Samuele 3231,
30124 Venise, Italie
Vaporetto : San Samuele, Sant’Angelo
Entrée : 15 €
Ouvert tous les jours, sauf le mardi,
De 10h à 19h
www.palazzograssi.it