Comment devient-on collectionneur puis marchand ? Pour le jeune juif berlinois Heinz Berggruen (1914-2007), exilé aux États-Unis en 1936, formé à l’art en travaillant au San Francisco Museum of art où il assiste notamment le muraliste mexicain Diego Rivera, c’est en achetant son premier Klee en 1940. Un dessin (Perspective fantomatique, 1920), qui va le suivre partout. Son talisman. Devenu citoyen américain, Berggruen part à Paris après-guerre et ouvre sa première galerie-librairie, Place Dauphine, en 1947. Il consacre tout naturellement sa première grande exposition à Klee, éditant à cette occasion le premier catalogue d’une longue série consacrée aux peintres qu’il rencontre et expose. Matisse, dont il est le premier en France à exposer les « papiers découpés », Giacometti et surtout Picasso.
Une véritable picassomania s’est emparé de Berggruen qui non seulement expose mais collectionne des œuvres de l’espagnol. Plus d’une centaine. Le Dormeur, une encre de Chine au lavis sur papier de 1942, est son premier achat en 1952. Il l’a acquise auprès de Paul Eluard alors en besoin d’argent. Et déjà il a l’art du négoce. Berggruen considère le prix trop élevé, Eluard ne veut pas baisser, mais y ajoute un dessin de Paul Klee, que Berggruen revend peu de temps après au prix du Picasso, qu’il gardera toute sa vie. « Ma collection débuta de façon tout à fait modeste, aussi modestement que ma galerie, avant de devenir, au fil des années, une passion. Plus tard, il m’arriva d’avoir l’impression que ma galerie n’était qu’un prétexte pour agrandir ma collection, raconte-t-il dans « J’étais mon meilleur client. Souvenirs d’un marchand d’art » (1997).
LE MEILLEUR CLIENT DE SA GALERIE
Outre de nombreux Picasso (des natures mortes et des portraits de sa période cubiste principalement) et Klee (qui fut son premier coup de cœur et dont il acquiert une soixantaine de travaux), Breggruen a aussi acheté des Braque, Matisse, Cézanne, Giacometti...Retourné vivre à Berlin au début des années 1980 après avoir fermé boutique, Berggruen qui a repris la nationalité allemande continuera à enrichir sa collection. Acquise par l’Etat allemand pour son exceptionnelle qualité, elle est exposée au « Museum Berggruen » à Berlin.
Une belle saga que l’on découvre au fil des tableaux de l’exposition montée à l’Orangerie, en collaboration avec le Museum Berggruen / Neue Nationalgalerie Berlin. Les commissaires ont fait le choix de regrouper les œuvres par thématiques pour mettre en avant les dominantes de la collection : natures mortes, portraits, paysages. Un parcours qui souligne les goûts de Berggruen, notamment pour Picasso, Klee, et le cubisme, et donne à voir des œuvres rarement exposées, comme ce tout petit Paysage en bleu de Klee de 1917 ou cette gouache de Picasso de 1919, une Nature morte devant une fenêtre à Saint-Raphaël, un « tableau heureux » selon Berggruen.
Catherine Rigollet