Avec Hervé Télémaque (né en 1937 à Port-au-Prince), c’est un art intime et protéiforme que nous découvrons. Un art marqué par les déracinements /appartenances géographiques (Haïti, New York, Paris) et artistiques, un art traversé par une conscience historique (les liens entre l’Afrique et Haïti), politique (le post colonialisme) et religieuse (le vaudou).
Partant de cette trame, l’artiste, français aujourd’hui mais joyeusement haïtien de cœur, peut donner libre cours à ses interrogations, sur la société de consommation, l’art pictural, la violence, la sexualité, émaillant ses œuvres de thèmes et motifs récurrents, de textes incomplets, de formats révélateurs. Tout au long du parcours, les techniques varient : peintures, collages, assemblages, dessins et fusains. Utilisant l’huile, la caséine ou le marc de café mélangé aux pigments, l’œuvre – si explicitement autobiographique – se construit, passant du gestuel à l’aplat et à la ligne claire, des toiles au mur aux toiles posées à terre, de l’objet à la sculpture, du métaphorique au réaliste.
Télémaque quitte Haïti pour New York à la fin des années 50. Il y passe trois ans, influencé par l’Expressionnisme Abstrait puis part s’installer à Paris qui lui parait plus dynamique sur le plan artistique. Avec Rancillac, entre autres, il fonde la Figuration Narrative. Quelques années plus tard, vendant mal ou pas ses peintures, il les met de côté pour créer des objets qui eux sont sûrs de ne pas être vendus ! C’est la série Le Large, objets « duchampiens », détournés, aux titres-gags (Un Clou ayant de la Répartie), remarquablement installés ici en un assemblage poétique.
Télémaque crée son propre idiome, fait d’objets usuels mais lourds de symbolisme – canne, sous-vêtements, chaussures, selles – qu’il représente ou ajoute à ses œuvres en des “combines” à la Rauschenberg. Il renvoie à d’autres artistes (Van Gogh, Magritte, Schiele, Poussin), à d’autres œuvres, dont le fameux La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (Le Grand Verre) de Duchamp récemment vu au Centre Pompidou, auquel il paie hommage avec Caca-Soleil !, 1970, et à des photos (malheureusement absentes à côté des œuvres qu’elles ont inspirées).
L’exposition se clôt sur Le Moine Comblé, 2014, écho du Black Monk trouvé sur le chevalet d’Arshile Gorky le jour de son suicide en 1948. Gorky, qui avait tant inspiré Télémaque pendant ses années new-yorkaises.
Un artiste bouillonnant, foisonnant qu’il faut découvrir sans attendre !
Elisabeth Hopkins
Visuel page expo : Hervé Télémaque, Fonds d’actualité, n°1, 2002. Acrylique sur toile - 295,5 x 375,5 cm. Puteaux, Centre national des Arts plastiques/Fonds national d’Art contemporain. En dépôt au Centre Pompidou, musée national d’art moderne. Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou © Adagp, Paris 2014.
Objets usuels, pour Vincent van Gogh ?, 1970. Huile sur toile - 120,5 x 180,4 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. MNAM-CCI/Dist. RMN-GP. Photo : Georges Meguerditchian, Centre Pompidou © Adagp, Paris 2014.
Portrait d’Hervé Télémaque ©photo Philippe Migeat.