À bientôt 88 ans, l’artiste britannique David Hockney inaugure la plus grande exposition qui lui ait jamais été consacrée et dont il a lui-même assuré l’éclatante scénographie, magnifiant une œuvre colorée et joyeuse, réalisée avec les techniques les plus variées, jusqu’au numérique.
Il fallait bien la totalité des espaces de la Fondation Vuitton et surtout ses immenses salles peintes pour l’occasion en rouge écarlate, jaune maïs ou bleu électrique pour accueillir cette présentation exceptionnelle de plus de 400 œuvres de différentes techniques réalisées durant soixante-dix ans par David Hockney (né en juillet 1937 dans le Yorshire), témoignant de la capacité de cet artiste aussi prolifique qu’hédoniste à toujours se réinventer à travers des nouveaux media. Comme, lorsqu’ à partir de 2010, il expérimente la peinture sur IPad avec les doigts ou un stylet en guise de pinceau. Hockney s’est totalement impliqué dans la réalisation de cette exposition dont la densité et l’exubérance de l’accrochage immerge le visiteur dans les tableaux. Il a lui-même choisi, en collaboration avec son compagnon et studio manager, Jean-Pierre Gonçalves de Lima des œuvres majeures, provenant de son atelier et de sa fondation, complétées de prêts de collections internationales, institutionnelles ou privées.
LA VIE EN TECHNICOLOR
Ayant quitté son Angleterre natale pour New York, puis surtout Los Angeles, Hockney, devenu artiste emblématique de cette Californie des années 1970 -berceau d’une contre-culture et de la libération sexuelle-, y peint en tout liberté ce qu’il a sous les yeux au quotidien. Sa réalité. Le parcours ouvre sur quelques œuvres « mythiques » de cette période, notamment les doubles portraits à la construction classique (Mr and Mrs Clark and Percy, 1971), les piscines californiennes sous un soleil immuable (A Bigger Splash, 1967) et des paysages des années 1980-90, tel ce très matissien paysage des collines de Los Angeles traversées par une route sinueuse (Nichols Canyon, 1980 ; une toile adjugée 41 millions de dollars par la maison Phillips le 7 décembre 2020).
Puis, rapidement, le coup de projecteur est mis sur les vingt-cinq dernières années. Celles du Yorshire où il redécouvre les paysages de son enfance et le changement des saisons qui vont faire l’objet d’une intense production de peintures, parfois monumentales. Puis, de 2019 à 2023, avant de regagner Londres, celles d’une retraite -pré et post covid- dans le bucolique bocage normand qui l’a charmé lors d’une visite à la Tapisserie de Bayeux. Une période durant laquelle il peint au quotidien, principalement sur son Ipad, sa maison et son jardin, des bouquets de fleurs (encadrés comme à l’ancienne) et les variations de la lune (grâce à la luminosité de l’écran). Des œuvres qu’il imprime sur papier ou que l’on voit se construire sur écran grâce à l’animation. L’exposition en réunit sous le titre « 220 for 2020 ».
« ENTRE LE FAUX NAÏF ET LE SOPHISTIQUÉ »
Particulièrement importante pour Hockney (dont la dernière rétrospective parisienne remonte à 2017 au Centre Pompidou), cette exposition est la plus grande exposition qui lui ait jamais été consacrée et comporte ses toutes dernières créations. « Ça va être bien, je crois », glisse cet éternel adolescent habillé de couleurs aussi audacieuses que ses toiles de jonquilles jaunes, de pelouse vert Granny-Smith, de cerisiers aux fleurs rose bonbon et de ciels azuréens. Tout l’art d’Hockney réside peut-être dans cet amour de la vie qui lui fait peindre les paysages côté printemps plutôt qu’hiver et quand il s’intéresse à un bosquet d’arbres défeuillés, de le reproduire en version XXL (Bigger trees near Warter, soit 50 toiles réunies -4, 5m x 12m-, sa plus grande toile réalisée à ce jour). Une œuvre réalisée en 2007 dans le Yorshire, couvrant un mur entier de la fondation Vuitton. Croquée en plein air et documentée avec l’aide de ses assistants par des dizaines de milliers de photographies, elle demanda six semaines de travail, mais semble peinte sur le motif, comme l’aurait fait un peintre de l’École de Barbizon dont Hockney endossait souvent le costume pour parcourir la campagne anglaise, son chevalet et sa boite à peintures en bandoulière.
Hockney a toujours dialogué avec les peintres qui l’ont précédé, reformulant visuellement certaines de leurs œuvres, tels les paysages de Turner à Corot et Monet, avec son style très particulier qui, selon Sir Norman Rosenthal, commissaire invité de l’exposition, « oscille entre le faux naïf et le très sophistiqué ». Un mur d’images évoque en fin d’exposition ses références, de Fra Angelico à Van Gogh et Picasso. Désormais installé à Londres, Hockney vient d’achever des peintures inspirées d’Edward Munch et de William Blake…Un chant du cygne qui a toutefois beaucoup perdu de sa mélodie.
Catherine Rigollet