Les femmes peuplent la vie et l’œuvre d’Honoré de Balzac (1799-1850), qui les aimait, lui le mal aimé par sa mère depuis l’enfance. Mais il a entretenu des liens profonds avec ses sœurs et il est probable que l’échec de leur mariage l’ait amené très tôt à réfléchir sur les douleurs et les injustices de la vie féminine. Peut-être aussi parce que Balzac est en amour un romantique qui chercha toute sa vie la femme idéale, à la fois mère, maitresse et confidente, fortunée (pour éponger ses dettes !), soumise et libre. Il finit par la trouver en Ewelina Hanska riche polonaise qu’il courtisa durant dix-sept ans avant de l’épouser en mars 1850, six mois avant de mourir. Entre temps, ses nombreuses liaisons, les confidences et lettres de ses amantes et/ou amies (Laure de Berny, Zulma Carraud, laduchesse d’Abrantès, Mme de Castries, George Sand…) lui ont non seulement inspiré des portraits de femmes dans ses romans, mais permis de mieux comprendre leur nature, leurs aspirations, leurs désirs…et leurs déceptions, notamment conjugales.
Ainsi, dès l’un de ses premiers ouvrages, Physiologie du mariage (1829), il plaide en faveur des femmes à une époque où les lois du mariage ne leur sont pas favorables. La publication du texte fera d’ailleurs scandale, mais le tout-Paris le considère comme un événement et Balzac devient un auteur à succès.
Il continuera à prendre des positions très avancées en matière sociétale, plaidant pour l’émancipation et les droits des femmes. Il rappelle : que la femme est tenue de se plier au devoir conjugal, obligation qu’il n’hésite pas à qualifier de viol. Que les femmes battues ont peu de recours. Que le Code pénal rend la femme passible de trois mois à deux ans de prison en cas d’adultère, quand l’homme risque tout au plus une amende… « Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature […]. Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. » (La Femme de trente ans). Balzac évoque aussi des thèmes que la littérature mettra parfois plus d’un siècle à aborder, comme la nécessité d’une entente charnelle dans le couple ou les conséquences sur la vie sentimentale de l’ablation d’un sein.
Sans être féministe, au sens actuel du terme, Balzac est à son époque le seul écrivain qui manifeste de l’empathie pour les femmes blessées et dénonce les violences qui leur sont faites au domicile conjugal ou dans la rue (Splendeurs et misères des courtisanes). Libéral devenu légitimiste sous la monarchie de Juillet, s’il est le peintre réaliste d’une société bourgeoise, matérialiste et religieuse, Balzac va « droit au but et saisit corps à corps la société moderne ». « À son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette œuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires (…) », déclamera Victor Hugo dans un vibrant hommage lors des funérailles de l’écrivain.
Avec cette nouvelle exposition, la charmante Maison de Balzac sise sur les coteaux de Passy avec vue imprenable sur la Tour Eiffel, illustre grâce à la plume de l’écrivain et aux crayons de dessinateurs et caricaturistes contemporains de Balzac ce thème du mariage au XIXe siècle. Un mariage alors souvent déterminé par des considérations sociales ou financières.
Le parcours conçu par Yves Gagneux, directeur des lieux, en collaboration avec l’enseignante-chercheuse en littérature du XIXe siècle Céline Duverne, ouvre sur la présentation de La Comédie humaine. Dans cette colossale œuvre (inachevée) de plus de 90 romans écrits sur vingt années, Balzac s’emploie à décrire les espèces sociales qui forment alors la société française, en s’appuyant sur la vie de près de 2500 personnages. Comme ici ces jeunes célibataires en quête d’une fille à marier pour une union relevant essentiellement à cette époque d’une affaire de raison, c’est-à-dire d’argent. Et c’est là que les illusions conjugales commencent à se perdre…Différences d’âge, incompatibilités de mœurs, ennui, reproches, alcoolisme, maltraitance, tromperies, adultère…les causes des dissensions au sein des couples sont nombreuses et font le malheur des époux, des épouses surtout, et le bonheur des caricaturistes. Ce résultat, presque toujours funeste des unions arrangées, est présenté sous un jour ironique par les dessinateurs de l’époque comme Victor Adam, Honoré Daumier, Gavarni, Grandville, Henry Monnier, Émile-Charles Wattier, et par la réflexion d’Honoré de Balzac dont les citations rythment le parcours de l’exposition. Donnant envie de replonger cet hiver dans quelques fictions balzaciennes à la lumière de cette cause des femmes défendue dans son œuvre.
Catherine Rigollet