Les années soixante du XIXe siècle ont engendré une génération d’artistes français et étrangers, puisque Paris était alors le cœur battant de l’art occidental, dont certains (*) se sont regroupés sous le vocable exotique, mi-humoristique, mi-sérieux, de Nabis. Ce terme, usité en arabe comme en hébreu, est traduit alors par « prophète », « illuminé », voire « l’inspiré de Dieu ». Dans cette démesure, on sent bien l’ironie de ces jeunes artistes dans la vingtaine, forces vives de ce courant nabi qui ne fit vraiment de remous en tant que tel qu’une petite dizaine d’années entre 1890 et 1900, chacun suivant ensuite sa voie créatrice propre.
« Impressions nabies », l’exposition concise, mais néanmoins sagace et éclairante, que propose aujourd’hui la BNF/Richelieu s’intéresse à un aspect moins connu du mouvement nabi que sa peinture, à savoir l’art de l’estampe. Avec les Nabis sonne l’heure des peintres-graveurs, bien décidés à bouter l’art hors des seuls ateliers, galeries et musées. « Notre génération a toujours cherché les rapports de l’art avec la vie, indiquait Bonnard. À cette époque, j’avais personnellement l’idée d’une production populaire et d’application usuelle : gravure, éventails, meubles paravents. »
Le parcours de l’exposition nous invite à découvrir, à travers deux cents pièces issues principalement des collections de la BnF mais aussi d’autres institutions françaises et étrangères, cette diversité des créations graphiques de l’estampe nabie, selon le procédé de la lithographie ou celui de la gravure sur bois de fil, cette dernière technique privilégiée par Maillol et Valloton. En début de parcours, un panneau didactique vient à bon escient rappeler la technique de la lithographie en couleurs.
Affiches, illustrations pour revues (La Revue blanche des frères Natanson particulièrement) ou livres de bibliophilie (Le Voyage d’Urien de Gide, Parallèlement de Verlaine), programmes de spectacles, partitions de musique, objets imprimés du quotidien (cartes de visite, faire-part) ou d’art décoratif (papier peint, paravent), tout est prétexte aux Nabis pour libérer leur créativité dans différents domaines et diffuser l’art dans la vie quotidienne.
Cependant, ce sont par les albums monographiques édités par le marchand Ambroise Vollard que l’originalité de l’estampe nabie, novatrice dans l’association des couleurs et dans ses influences japonaises (Bonnard est alors surnommé par ses amis peintres « le nabi japonard » !), se fait vraiment sentir : Quelques aspects de la vie de Paris de Bonnard, Paysages et intérieurs de Vuillard, Amour de Maurice Denis ou encore Paysages de Roussel. C’est pourtant l’adepte de la gravure sur bois Vallotton qui nous touche particulièrement avec sa série Intimités, éditée par « La Revue blanche » en 1898, au cœur du couple et de ses hypocrisies, sujets traités en grands aplats noirs et réserves de blanc, qui ne déparerait pas dans l’illustration moderne, voire la bande dessinée. Avant d’entamer des carrières personnelles bien distinctes, les Nabis ont participé par ce renouveau de l’estampe au grand foisonnement artistique de la Belle Époque.
Jean-Michel Masqué
(*) Bonnard, Denis, Ibels, Ranson, Roussel, Sérusier, Vallotton, Vuillard pour les plus connus d’entre eux.








