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Ingres et ses princes au château de Chantilly

Peintre majeur et éminence artistique du XIXe siècle (Prix de Rome, Légion d’honneur, Institut de France, directeur de l’Académie de France à Rome…), néo-classique traditionnellement opposé au « romantique » Delacroix, admiré de Théophile Gautier et apprécié de Baudelaire, surtout pour son art du portrait et son « amour de la femme » (*), Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) ne bénéficie pas de nos jours d’une renommée équivalente à sa place imposante dans l’histoire de l’art. Si le musée Ingres Bourdelle de Montauban (ville de naissance d’Ingres) entretient régulièrement la flamme du maître, les grandes expositions à son sujet se font rares en France. Pas d’importante rétrospective depuis celle de 2006 au Louvre. Il faut d’autant plus saluer l’initiative du musée Condé de Chantilly de proposer une nouvelle lecture de certains des principaux chefs-d’œuvre du peintre, quelques versions définitives comme quelques dessins préparatoires et variantes n’étant pas souvent montrés en France.

Cette exposition, qui ne se veut pas une rétrospective stricto sensu, comme le souligne Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé, parcourt cependant l’œuvre d’Ingres à travers certaines de ses toiles et dessins majeurs de Autoportrait d’Ingres à vingt-quatre ans (1804 et 1851) à Louise, princesse de Broglie, future comtesse d’Haussonville (1845) en passant par un de ses derniers grands dessins, Homère déifié (1865). Chaque salle thématique est traitée comme une sorte d’atelier où se niche un chef-d’œuvre entouré d’autres œuvres le replaçant dans son contexte d’époque et dans l’histoire de sa composition, souvent longue et complexe chez Ingres… Cette succession chronologique d’ateliers d’Ingres déroule aussi le fil de ses relations avec les princes d’Orléans, collectionneurs puis commanditaires du peintre, le Prince royal Ferdinand (1818-1842), fils aîné de Louis-Philippe, puis Antoine duc de Montpensier (1824-1890) et Henri duc d’Aumale (1822-1897).

L’exposition comprend en tout 110 œuvres provenant du musée Condé mais aussi de nombreuses autres institutions françaises et étrangères prestigieuses, The Frick Collection par exemple pour le portrait de Mme d’Haussonville qui quitte rarement les rives de l’Hudson, et de collections particulières. Deux études scientifiques et radiographiques du Centre de recherche et de restauration des musées de France, spécialement réalisées dans la perspective de l’exposition, apportent des révélations sur les différentes phases d’exécution, souvent séparées par de longues années, de l’Autoportrait d’Ingres à vingt-quatre ans et de Vénus Anadyomène (1808 et 1848).

Chaque tableau majeur exposé (outre ceux que nous avons déjà cités, on peut voir Portrait de Mme Duvaucey (1807), Paolo et Francesca (1814), Stratonice, ou La Maladie d’Antiochus (1840), Portrait de Ferdinand Philippe, prince royal (1842), Virgile lisant L’Énéide (1819) et les dessins préparatoires pour les vitraux de Neuilly, Dreux et Chantilly) se voit pris dans un réseau dense de références artistiques et historiques qui éclairent à la fois sa genèse et sa postérité. Ce qui fait regretter l’étroitesse de l’espace d’exposition (330 m2), son parcours quelque peu labyrinthique… Le catalogue s’avère alors un complément précieux pour mieux s’y retrouver dans l’histoire souvent complexe de la réalisation et de la destinée de ces chefs-d’œuvre (Ingres. L’artiste et ses princes, éd. Château de Chantilly et In fine, 292 pages, 34 €).
On conseille absolument cette exposition exceptionnelle qui rassemble dans un cadre merveilleux tant de tableaux iconiques éclairés par une contextualisation érudite, même si on peut s’autoriser à ne pas tomber en absolue pâmoison devant l’esthétique d’Ingres…

Jean-Michel Masqué

(*) « Une des choses, selon nous, qui distingue surtout le talent de M. Ingres, est l’amour de la femme. Son libertinage est sérieux et plein de conviction. M. Ingres n’est jamais si heureux ni si puissant que lorsque son génie se trouve aux prises avec les appas d’une jeune beauté. Les muscles, les plis de la chair, les ombres des fossettes, les ondulations montueuses de la peau, rien n’y manque. Si l’île de Cythère commandait un tableau à M. Ingres, à coup sûr il ne serait pas folâtre et riant comme celui de Watteau, mais robuste et nourrissant comme l’amour antique. » (Charles Baudelaire, « Le Musée classique du Bazar Bonne-Nouvelle », 1846).

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 3 juin au 1er octobre 2023
Salle du Jeu de paume du Château de Chantilly-musée Condé (Chantilly-Oise)
10h à 18h en haute saison (sauf mardi et mercredi 5 juillet)
10h30 à 17h en basse saison.
Plein tarif : 9 €
https://chateaudechantilly.fr/


 À voir en écho à l’exposition Ingres : « Regarder l’histoire en face. L’Italie du XIXe siècle au musée Condé », au Cabinet d’arts graphiques du château de Chantilly.
Une sélection d’œuvres autour de la thématique du voyage en Italie au XIXe siècle avec quelques jolies pépites comme ce sublime Portrait d’une italienne (1837) par Charles-Octave Blanchard (collection du musée Condé) ou cette Femme napolitaine pleurant sur les débris de sa maison détruite par un tremblement de terre (1828-1831) de Louis Léopold Robert (collection musée Condé).


Visuels :
 Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780 – Paris, 1867),
Autoportrait d’Ingres à vingt-quatre ans, 1804 (Salon de 1806) (détail). Toile ; H. 0,77 ; L. 0,61 m. Chantilly, musée Condé.

 Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Œdipe et le sphinx, 1827. Toile. Paris, musée du Louvre.

 Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Louise, princesse de Broglie, future comtesse d’Haussonville, 1845. Toile ; H. 1,318 ; L. 0,92 m. New York, The Frick Collection, 1927.1.81.
Photos : © L’Agora des Arts.