Sargent. Un américain à Paris de 1874 à 1884

Élégance et raffinement, voilà ce qui nous vient immédiatement à l’esprit en parcourant les portraits du peintre américain John Singer Sargent (1856-1925) et l’on comprend qu’il ait pu éblouir Paris. Mais comment définir son style s’interroge-t-on en même temps ? L’artiste passant alternativement d’un classicisme proche de celui de son contemporain l’espagnol Sorolla -que le Petit Palais avait exposé en 2007 à ses côtés- à une touche impressionniste après avoir peint avec l’ami Monet à Giverny. Ses thèmes varient aussi, alternant portraits (domaine dans lequel il s’imposera), scènes de genre empreintes d’exotisme inspiré par des séjours en Afrique du Nord et paysages, dont quelques marines, parties de pêche et études en plein air.

Né en 1856 en Italie de parents américains qui habitent en Europe, formé à Paris auprès de Carolus Duran, fasciné par Vélasquez et Frans Hals, grand voyageur, cultivé et polyglotte (il parle l’anglais, le français, l’italien et l’allemand), pianiste talentueux, Sargent s’est épanoui durant sa période parisienne, de 1874 (il a 18 ans) à 1884. Il a installé son atelier au 73 rue Notre-Dame des Champs et parait au sommet de son art, de l’avis même de son ami l’écrivain Henry James qui face au portrait des Filles d’Edward Darley Boit (1882) d’une grande nouveauté de composition et d’effets d’ombre et de lumière virtuoses déclare que Sargent « offre le spectacle étrangement inquiétant d’un talent qui au seuil de sa carrière n’a déjà plus rien à apprendre ».

L’artiste défraie même la chronique avec son fameux portrait en « femme fatale » de l’américaine Virginie Gautreau (1883-1884) ; une mondaine parisienne qu’il peint le visage de profil, vêtue d’une longue robe noire faisant ressortir sa peau laiteuse et le rouge de sa bouche et de ses oreilles (curieusement maquillées). Mais le décolleté en forme de cœur est trop profond, et une bretelle tombe sur l’épaule. C’est un scandale. La critique se déchaine. L’artiste reprendra plus tard le portrait, remontant la bretelle sur l’épaule. Dénommé désormais Madame X (1883-1884), il est considéré au MET à New York qui le possède dans ses collections comme leur Joconde. Au fil des portraits, notamment féminins, on relève l’intérêt de Sargent pour la mode, un goût que la Tate Britain de Londres a mis en avant dans une exposition en 2024.

Organisée cent ans après sa mort, cette exposition de 90 tableaux et œuvres graphiques (au musée d’Orsay qui possède cinq peintures de Sargent) vise à le faire (re)découvrir en France où il a été oublié (après avoir quitté Paris pour Londres après le scandale de Madame X), en se focalisant sur ses années de jeunesse à Paris, celles durant lesquelles il a réalisé certains de ses plus audacieux tableaux.
Des portraits surtout, les sujets parisiens faisant paradoxalement figure d’exception comme ce Jardin du Luxembourg (1879). La scénographie particulièrement réussie met en lumière ses grands portraits en pied, archétypes de la classe sociale la plus privilégiée, comme celui du Docteur Pozzi (1881), célèbre figure du Paris de la Belle-Époque autant par sa réputation de chirurgien et gynécologue que comme collectionneur et séducteur. Audacieusement représenté dans son intimité, dans une sensuelle harmonie de rouge, de sa robe de chambre jusqu’au grand rideau, l’homme se tient droit, une de ses longues mains sur la poitrine dans une posture majestueuse qui rend hommage à des peintres de la Renaissance tels Greco, Vélasquez ou Titien. Clou du parcours, l’envoûtante Madame X et sa pose de sirène fait l’objet d’un espace spécial pour y narrer son histoire scandaleuse au travers de plusieurs études, dessins et même une caricature de presse. “Je suppose que c’est la meilleure chose que j’ai jamais faite”, affirmait toutefois John Sargent à son propos. En France, son tableau le plus connu du public est sans doute La Carmencita (1890) et son éblouissant costume jaune brodé, aujourd’hui dans les collections du musée d’Orsay et qui clôt l’exposition. Mais malgré son indéniable prouesse picturale, rien n’égale la fascinante robe fourreau noire de Madame X.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 23 septembre au 11 janvier 2026
Musée d’Orsay
Niveau 0 – grand espace d’expo
Du mardi au dimanche, de 9h30 à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Tarif plein : 14€
www.musee-orsay.fr


À lire :

 « John Singer Sargent. Éblouir Paris ». Édition publiée sous la direction de Caroline Corbeau-Parsons et Paul Perrin. Gallimard/Musée d’Orsay. Collection Livres d’Art Gallimard. Parution 18-09-2025. 256 pages, 130 ill. 45€.

 « Sargent. Éblouir Paris ». Par Caroline Corbeau-Parsons. Découvertes Gallimard / Musée d’Orsay (carnet d’expo). 11,50€.


Visuels :

 John Singer Sargent, Dans le jardin du Luxembourg, 1879, huile sur toile, 65,7 x 92,4 cm, Philadelphia Museum of Art, Philadelphia, John G. Johnson Collection, 1917.

 John Singer Sargent, Le Docteur Pozzi chez lui, 1881. Huile sur toile, 201,6 x 102,2 cm. Los Angeles, Hammer museum, Collection Armand Hammer.

 John Singer Sargent, Madame X (madame Pierre Gautreau), vers 1883-1884, huile sur toile, 208,6 x 109,9 cm, États-Unis, New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art, Fonds Arthur Hoppock Hearn, 1916, 16.53.

 Adolphe Giraudon (1849-1929), John Singer Sargent dans son atelier avec le portrait de Madame X, vers 1884. Tirage argentique à l’albumine. New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art.

 John Singer Sargent, Portraits d’enfants, dit aussi Les Filles d’Edward Drley Boit, 1882. Huile sur toile. Boston, museum of Fine Arts.

 John Singer Sargent, Étude en plein air, dit aussi Paul Helleu dessinant auprès de son épouse, 1889. Huile sur toile. New York, Brooklyn museum of Art.

Photos L’Agora des Arts.