Vous consultez une archive !

L’Avant-Garde en Géorgie : aussi créative qu’éphémère

Cet automne, Europalia, festival international qui se déroule tous les deux ans en Belgique pour célébrer le patrimoine culturel d’un pays invité, consacre son édition 2023 à la Géorgie avec une exposition inaugurale sur « L’Avant-garde en Géorgie (1900-1936) ». À travers plus de 150 œuvres, peintures, dessins, films, photographies, poèmes ainsi que des projets de costumes et de décors de théâtre (provenant du Musée des Beaux-arts de Géorgie, du musée Art Palace de Tbilissi, de la Fondation David Kakabadze, du Centre Pompidou, de la bibliothèque Kandinsky, de la Bibliothèque Nationale de France et de collections privées), ce riche parcours contextualisé sur le plan historique et politique, met en lumière pour la première fois un chapitre méconnu de l’art d’avant-garde en Europe.

En 1918, à la suite de la chute de l’empire russe et de la révolution d’Octobre, la Géorgie proclame son indépendance. Durant cette parenthèse heureuse, de très courte durée jusqu’à l’invasion soviétique de 1921 qui va exercer des pressions sur les artistes leur imposant les principes esthétiques du réalisme socialiste, une création d’avant-garde voit le jour, foisonnante. Les artistes se rencontrent, se regroupent, notamment au sein des nombreuses tavernes et cafés artistiques à Tbilissi, la capitale, et y organisent des événements multidisciplinaires donnant corps à de nouvelles pratiques artistiques. Partant des traditions géorgiennes, elles empruntent aussi aux cultures d’Europe orientale et occidentale (néo-symbolisme, futurisme, toutisme, dadaïsme, expressionnisme, cubisme…) dans une effervescence créatrice. Dès la fin des années 1910, des artistes géorgiens tels David Kakabadze, Ilia et Kirile Zdanevich, Lado Gudiashvili et Elene Akhvlediani ont fait le voyage à Paris, centre majeur des mouvements d’avant-garde. Ils y côtoient les artistes internationaux de l’époque et y découvrent les cercles d’avant-garde de l’ouest. Si certains vont rester en France, ceux qui rentrent en Géorgie comme Kakabadze ou Gudiashvili y arrivent enrichis de leurs rencontres.

Liberté et melting pot artistique y produisent un art unique en son genre, associant des artistes (peintres, graphistes, scénographes, costumiers, sculpteurs, architectes, caricaturistes…) de différentes générations et styles, du peintre autodidacte naïf Niko Pirosmani (1862-1918) le « Douanier Rousseau géorgien » qui inspirera bon nombre d’artistes d’avant-garde, à Gigo Gabashvili (1862-1936) représentant du mouvement symboliste géorgien, en passant par le poète, historien de l’art et éditeur Ilia Zdanevich (dit Iliazd,1894-1975), l’un des fondateurs du futuristic group 41°. Installé à Paris en 1921, il publiera des livres d’artiste, en collaboration avec Picasso, Miro, Giacometti, Duchamp et Ernst.

C’est aussi durant cette période que les artistes géorgiens créent la Société des artistes géorgiens et fondent des institutions telles que la Galerie nationale et l’Académie des Beaux-Arts. Mais l’avènement de la soviétisation en 1921 compromet le parcours de l’avant-garde géorgienne qui va tomber dans l’oubli en raison des répressions et de la censure du régime soviétique. Une cruelle et courte existence « de trois ans, de 1918 à 1921 » précise Dirk Vermalen, directeur artistique d’Europalia, qui sonne le glas de toute liberté de création. Certains artistes vont s’exiler, d’autres vont rester et adapter leurs activités, plusieurs seront exécutés durant les purges staliniennes à partir de 1936, comme le jeune décorateur et costumier moderniste Petre Otskheli et le peintre Dimitri Shevardnaze à qui l’on doit la National Art Gallery of Georgia, ouverte en 1920. Mais les idées de l’avant-garde, bien que censurées, perdureront à travers les générations et connaitront une résurgence chez les artistes d’art non-officiel à partir des années 1970.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 5 octobre 2023 au 14 janvier 2024
Palais des Beaux-Arts (Bozar)
Rue Ravenstein 23 – Bruxelles
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Fermé le lundi
Tarif standard : 16€
www.bozar.be


 Catalogue « L’Avant-garde en Géorgie (1900 – 1936) »
(Édité par Hannibal en collaboration avec Europalia, design par Sara de Bondt)


Visuels :

 Niko Pirosmani (1862-1918), Banquet des quatre citadins, huile sur toile cirée © National Museum of Georgia.

 Kiril Zdanevich (1892-1969), Sketch for ’Malshtrem (1924) Georgian State Museum of Theatre Music Film and Choreography - Art Palace.

 Lado Gudiashvili (1896-1980), Fresh Fish , 1920. Oil on canvas, 167 x 115 cm. Shalva Amiranashvili State Museum of Fine Arts, Georgian National Museum, Tbilisi.

 Irina Shtenberg (1905-1985), In the Restaurant , 1927. Sanguine, sauce and watercolour on paper, 40 x 40 cm. Shalva Amiranashvili State Museum of Fine Arts, Georgian National Museum, Tbilisi.

 Vue de l’exposition, photo : L’AGORA DES ARTS, 26/10/2023.

 Beno Gordeziani (1894-1975), Tskhrats’q’aro, 1924. Oil on canvas, 88 x 68 cm. Oni Museum of Local Lore, Georgia.