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Revoir Watteau Un comédien sans réplique. Pierrot, dit le Gilles

Tout juste restauré, le célèbre grand Pierrot blanc de Watteau fait l’objet d’une expo au Louvre qui tente de lever le voile sur les mystères de sa création et de sa signification, en le replaçant dans le contexte de la vie théâtrale du début du XVIIIe siècle. Passionnant.

« Le tableau énigmatique du Louvre par excellence ». C’est ainsi que le peintre et écrivain Bernard Dufour a qualifié le Pierrot, longtemps dénommé le Gilles, cet étrange personnage lunaire tout de blanc vêtu d’Antoine Watteau (1684-1721). Une figure devenue familière et iconique mais dont l’histoire interroge. Déjà, l’attribution de cette œuvre à Watteau a parfois été contestée, avant d’être considérée comme un chef-d’œuvre du maître de Valenciennes et de devenir aussi célèbre qu’inspiratrice pour d’autres artistes. Sa première mention ne date que de 1826, alors qu’elle a été peinte vers 1718-1719. Enfin, son interprétation demeure complexe.

Une icône du théâtre de foire ?

Dans cette composition énigmatique, au format des grandes toiles peintes publicitaires disposées à l’entrée des théâtres dans les foires parisiennes, et dont aucun contemporain de Watteau ne fait jamais mention, le peintre a représenté un Pierrot grandeur nature, figé les bras ballants, mélancolique et muet, très loin de son caractère de bon vivant. Il est observé dans le coin gauche de la composition par un Crispin ricanant, ce valet manipulateur, vedette comique de la Comédie-Française, se réjouissant de son immobilité. Rappelons qu’au début du XVIIIe siècle, les différentes troupes de théâtre comique se livrent une concurrence acharnée. La Comédie-Italienne, dont les plaisanteries ont parfois offensé les élites, a été interdite sur décision royale entre 1697 et 1716. Et en 1719, la Comédie-Française (soutenue par le roi) a fait interdire toutes les représentations des compagnies de théâtre se produisant dans les foires dont Pierrot est le personnage principal, aux côtés d’Arlequin. Beaucoup d’acteurs français de la Comédie-Italienne se sont réfugiés en Angleterre à cette époque ; Watteau au cours d’un séjour à Londres vers 1720 les a d’ailleurs représentés (Les Comédiens italiens). Peint environ un an auparavant, Le Pierrot, dit autrefois le Gilles serait-il alors une œuvre de révolte contre les atteintes à l’expression du théâtre populaire, notamment celui de la Commedia dell’Arte ?

Les révélations de la restauration

Cette passionnante petite exposition qui réunit soixante-cinq œuvres (peintures, dessins, gravures, livres, photographies et extraits de films), dont sept tableaux de Watteau, grâce au soutien de nombreux musées français, européens et américains, tente de décrypter l’énigme de ce chef-d’œuvre des collections de peintures françaises du musée du Louvre. Elle dévoile aussi les étapes de sa restauration qui a permis de lui rendre la fraicheur de ses lumineuses couleurs et de retrouver le format initial de cette toile probablement découpée au XVIIIe siècle. On vous laisse découvrir tous les détails dans l’exposition. Elle explore pour conclure la fascination constante et féconde que Le Gilles a exercée jusqu’à aujourd’hui sur les créateurs de tous horizons, de Lancret (élève de Watteau) et Fragonard à Picasso en passant par Nadar, Derain, Alberola ou Marcel Carné : peintres, écrivains, comédiens, photographes ou cinéastes – chacun ayant proposé d’en percer la captivante énigme.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 16 octobre au 3 février 2025
Musée du Louvre
Aile Sully – 1er étage. Salle de la Chapelle
Tous les jours, sauf mardi, 9h - 18h
Nocturnes mercredi et vendredi jusqu’à 21h
Tarif plein : 22€ (expos et collections)
www.louvre.fr


 Catalogue de l’exposition. Par Guillaume Faroult, commissaire. Coédition Musée du Louvre / Linéart. 150 ill. 240 pages. 39€


Visuels :

 Watteau, Pierrot, dit autrefois Le Gilles (après restauration), Huile sur toile, 1,80 m x 1,40m @RMN – Grand Palais (musée du Louvre). Photo L’Agora des Arts.

 Antoine Watteau, Les comédiens italiens, 1720. Huile sur toile, 64 x 76 cm. Washington. National Gallery of Art. Photo L’Agora des Arts.

 Nicolas Lancret, Les Acteurs de la Comédie Italienne, vers 1725, huile sur bois, 26 × 22 cm, Paris, musée du Louvre, département des Peintures © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.

 Paul Nadar, Sarah Bernhardt dans Pierrot assassin, pantomime de Jean Richepin, 1883. Photographie @ Bibliothèque nationale de France.
Photo L’Agora des Arts.

 André Derain, Arlequin et Pierrot, vers 1924. Huile sur toile, 175 x 175 cm.
© Adagp, Paris, 2024 © RMN-Grand Palais (Musée de l’Orangerie). Photo L’Agora des Arts.