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Peder Severin Krøyer : L’heure bleue

L’Heure bleue : Un nom de parfum bien français, un « voile de rêve » dans la chanson de Françoise Hardy, le moment où le ciel, au septentrion, fonce avant que la nuit ne s’installe. Le peintre danois, Peder Severin Krøyer (1851-1909), aime, contrairement à son élève Vilhelm Hammershøi (1864-1916) les scènes d’extérieur, les ciels dont l’infini se prolonge au-delà du cadre du tableau, les plages immenses, les jeux de soleil dans les arbres et … le crépuscule.

À partir de 1882, après avoir travaillé à Paris dans l’atelier de Léon Bonnat, Krøyer partage son temps entre Copenhague et Skagen, village situé à la pointe du Jutland, renommé aujourd’hui pour le mouvement pictural naturaliste et « atmosphérique » qui avait rassemblé à la fin du 19e siècle, une colonie d’artistes danois et norvégiens. Alors que dans les années 80, l’artiste commet des portraits de financiers et de commerçants, ce sont surtout les œuvres de la période de Skagen que l’on découvre ici, une soixantaine d’esquisses de petit format (qui permettait à l’artiste de les ranger dans sa boite de peinture) et de peintures réalisées sur le motif ou dans son atelier, à partir de ses propres photos.

Krøyer n’est pas un portraitiste négligeable mais attiré par la nature, il fait de ses figures un élément de paysage où la nature contribue au bonheur du moment, chez les adultes ou chez les enfants. Des toiles d’abord ébauchées à coup de dessins, d’esquisses et de pastel. C’est ainsi que la lumière transparente saisie par le peintre semble adoucir le travail brutal des pêcheurs (Pêcheurs de Skagen, Danemark, coucher de soleil, 1883). Certaines toiles de bateaux et d’hommes de mer figureront d’ailleurs sur les cimaises lors de l’Exposition Universelle de 1889 à Paris.

La composition d’une toile retient tout particulièrement l’attention : La plage au sud de Skagen, 1883, pose le regardeur sur le sable rosé d’une plage qui occupe les 7/8 du tableau, peut-être prêt à mettre ses pieds dans les traces légères qui zigzaguent imperceptiblement jusqu’à une figure lointaine qu’il n’a pas forcément envie de rejoindre. Le ciel occupe le haut de la toile, d’un bleu qui s’obscurcit et est reflété dans la même tonalité sur la laisse mouillée qui frange le sable.

La colonie d’artistes de Skagen est évoquée de façon lumineuse : œuvre quasi impressionniste, Hip, Hip, Hip, Hourra ! Déjeuner d’artistes, Skagen, 1888-89 joue de la transparence des verres et des liquides, des taches de soleil sur les visages, des ombres et lumières de la nappe qu’une enfant tente de saisir. On s’amusera à la comparer avec Le Déjeuner des artistes à Cernay, 1879, scène d’intérieur où, d’une touche plus imprécise, Krøyer met en valeur la table blanche et ce qui la recouvre et ne semble utiliser les convives que comme décor à la scène du repas. À Skagen aussi, Krøyer peint sa famille dans des tableaux de plus petit format, plus intimistes (Rose, 1893, inspiré par une photo de son épouse).

Il est difficile devant certaines toiles d’enfants s’ébattant dans la vague, de femmes en mousseline flânant en bordure du sable de ne pas penser à Joaquín Sorolla (1863-1923). On réalise lors que là est ce qui fait le génie de l’artiste : Krøyer traduit une certaine frilosité de l’air septentrional, alors que chez l’artiste espagnol, la toile entière vibre de toute la chaleur du Sud.
Une exposition à voir sans attendre.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Peder Severin Krøyer, Roses, 1893. Huile sur toile, 67,5 x 76,5 cm. Skagen, Skagen Kunstmuseer © Art Museums of Skagen
Peder Severin Krøyer, Pêcheurs de Skagen, Danemark, coucher de soleil, 1883. Huile sur toile, 135 x 190,5 cm. Skagen, Skagen Kunstmuseer © Art Museums of Skagen.
Peder Severin Krøyer, Soirée calme sur la plage de Skagen, Sønderstrand (Anna Ancher et Marie Krøyer marchant) 1893. Huile sur toile, 100 x 150 cm. Skagen, Skagen Kunstmuseer
© Art Museums of Skagen.
Peder Severin Krøyer, Autoportrait au chevalet, 1902. Huile sur toile, 54 x 45 cm. Collection de l’Ambassadeur John L.Loeb Jr. © Bill Orcutt.

Avant de quitter le musée, on aura plaisir à découvrir « Peindre comme la rivière », quelques toiles abstraites de Vicky Colombet, peintre franco-américaine (née en 1953). Ce ne sont pas des paysages que peint l’artiste, mais des variations chromatiques en résonnance avec une toile de Monet, Bras de Seine près de Giverny, Soleil levant. Colombet, qui peint à plat, laisse l’air, l’eau, la terre se poser sur la toile au gré du jeu de ses pinceaux doux (de laquage) et de ses pigments. Une description de sa façon de travailler qui en laissera plus d’un rêveur, mais dont le résultat est d’une grande beauté et incite à la méditation.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 mai au 26 septembre 2021
Musée Marmottan-Monet
2 rue Louis Boilly, 75016 Paris
Ouvert tous les jours, sauf le lundi
De 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Entrée : 12 €
www.marmottan.fr