La maison de Pierre Loti. Une folie décorative

Fermée depuis octobre 2012 pour d’importants travaux de restauration (coût 13 522 702 € HT), la maison de l’écrivain-voyageur-officier de marine Pierre Loti (né Julien Viaud en 1850, décédé en 1923) -avec ses collections (dont 1000 objets restaurés) - a rouvert au public le 10 juin 2025.
Emblématique de la ville de Rochefort, au même titre que la Corderie Royale ou le pont Transbordeur, cette maison exceptionnelle par son extravagant décorum et les grandes fêtes costumées qui y furent données, a retrouvé l’authenticité des aménagements conçus entre la fin des années 1870 et le début du XXe siècle par son propriétaire, qui la rêvait en palais des mille et une nuits, accumulant un nombre invraisemblables d’objets au cours de ses voyages pour recréer un peu de l’ambiance vécue autour du monde.

LOTI LE DÉCORATEUR

Salon turc avec son plafond à muqarnas en stuc inspiré de l’Alhambra de Grenade ; pagode japonaise ; salle chinoise ; salle gothique éclairée de fenêtres ogivales ; salle Renaissance (reprenant les codes des salles d’apparat de châteaux avec un plafond à caisson, une cheminée monumentale, des tapisseries d’Aubusson et une tribune faisant face à un grand escalier) ; salon bleu (en écho à la classique chambre aux abeilles ornant le plafond, ce salon bourgeois était le domaine réservé de l’épouse de Pierre Loti, qui ne goûtait guère les extravagances d’un époux voyageur et volage) ; mosquée avec son plafond prélevé dans un palais de Damas et ces cinq cénotaphes (salle la plus connue de la maison, qui n’a de mosquée que le nom. Là encore, il s’agit pour Pierre Loti de créer un décor propice à des voyages oniriques) ; petit cloître dans le petit jardin...Aucune pièce, aucun espace ne se ressemble.
Loti ne manquait ni d’idées, ni d’amour du merveilleux pour décorer sa maison, la chargeant des centaines de kilos d’objets rapportés d’Extrême-Orient ou d’Afrique, modifiant constamment les pièces au gré de ses fantaisies, apposant le blason aristocratique qu’il s’est créé et ses portraits un peu partout... Seule sa chambre immaculée et monacale, avec un petit lit de fer et quelques images religieuses, contraste avec l’exubérance des autres pièces. Elle évoque aussi bien la vie spartiate du marin que l’austère foi protestante dans laquelle il a été éduqué. Pierre Loti aimait à s’entourer d’objets relatifs aux différentes religions monothéistes comme pour conjurer la mort, affirmant toutefois avoir perdu la foi à la mort de son frère ainé Gustave, emporté par la maladie à l’âge de 28 ans, en 1865.

LOTI LE MARIN-VOYAGEUR

Complexé par sa petite taille (1,63m), ne se trouvant pas beau (il se maquillera adulte pour s’embellir), il a fait de sa vie un voyage et de ses voyages une œuvre architecturale et littéraire. Chaque voyage donnant lieu à la décoration d’une pièce et à un livre.
Ce sont les voyages de son frère Gustave, médecin de la Marine, qui ont forgé l’imaginaire du jeune Julien et influencé son avenir. Reçu à l’École navale en 1867, il ne cessa de naviguer sur une trentaine de navires, visitant vingt-huit pays, et faisant parfois de longs séjours en Algérie, Turquie, Tahiti (où il reçoit le surnom de Loti par la reine Pomaré), Sénégal, Salonique, Constantinople…Après un retour à Brest, à nouveau direction la Chine, le Japon. Puis le Maroc, la Palestine, l’Inde et enfin l’Égypte en 1907, sa dernière mission. Il prend sa retraite, mais demande sa réintégration en tant qu’agent de liaison de l’armée de terre en 1914.

LOTI L’ ÉCRIVAIN

Dès son plus jeune âge, Julien (alias Pierre Loti) a fait preuve d’inventivité et de talent artistique, dessinant et créant des figurines de théâtre (exposées dans une vitrine avec d’autres objets hétéroclites tel un cabinet de curiosités). Son premier roman, Aziyadé, est publié en 1879, sans nom d’auteur. Viennent ensuite le Roman d’un spahi (1881), Mon frère Yves (1883) ou encore Pêcheur d’Islande (1886), signés Pierre Loti. Il est élu à l’Académie Française en 1891, à l’âge de 41 ans, face à Zola. Hanté par l’angoisse de la mort et porté aux rêves et aux souvenirs, sa maison de Rochefort (acquise par son grand-père maternel en 1802 et qu’il rachète à sa mère en 1871) va devenir son nouvel horizon. En 1895, il lance les grands travaux de la maison. Et pour assouvir ses folies créatives et son goût pour les ailleurs, il achète même en 1895 et 1897 les deux maisons mitoyennes. Il réunit en partie les habitations, perce des murs, ajoute des fenêtres, abat des cloisons...Tout cela sans plan, sans archives, mais surtout au mépris des règles élémentaires de l’architecture…Ce qui, au fil des années, s’avèrera problématique pour la solidité de la structure.

OUVERTURE DE LA MAISON AU PUBLIC

Acquise par la ville en 1969, cette maison qui évoque les Folies architecturales qui ont émergé dès le XVIIIe siècle, fut ouverte au public de 1973 à 2012, avant de fermer. L’état de certaines pièces ne permettait plus les visites et la stabilité même de l’édifice menaçait péril. Elle bénéficie aujourd’hui d’une triple « labellisation » : monument historique, musée de France et maison des Illustres. Pour faciliter la visite, on trouve à l’accueil une maquette de la maison permettant aux visiteurs de mieux comprendre la complexité de l’ensemble bâti. Elle est accompagnée d’un écran tactile pour découvrir les voyages de Pierre Loti et d’une frise chronologique. À l’étage, un salon d’écoute offre la possibilité d’entendre des extraits des romans du célèbre Rochefortais, tous nourris de ses voyages. Quand on pense qu’il désirait que tous ses objets accumulés et les décors soient détruits après sa mort (un vœu qui ne fut heureusement pas respecté), on mesure ce qu’aurait été la perte de cet héritage qui offre aujourd’hui de retracer la vie aventureuse et exaltée de cet aventurier au caractère bien trempé, à l’égo démesuré, qui suscita parfois l’incompréhension dans sa ville natale, mais qui nous laisse une maison et une œuvre littéraire à son image : puissamment romanesque.

Catherine Rigollet

Démon - Pagode japonaise

Démon - Pagode japonaise

Pierre Loti

Pierre Loti

Mosquée Maison Pierre Loti

Mosquée Maison Pierre Loti

Mosquée avec plafond de Damas

Mosquée avec plafond de Damas

Salon turc

Salon turc

Chambre arabe - maison Pierre Loti

Chambre arabe - maison Pierre Loti

Pierre Loti dans la Chambre arabe

Pierre Loti dans la Chambre arabe

Chambre des Grands-Mères

Chambre des Grands-Mères

Bureau de Pierre Loti

Bureau de Pierre Loti

Chambre de Loti

Chambre de Loti

Détail Pagode japonaise

Détail Pagode japonaise

Détail salle Gothique

Détail salle Gothique

Fête chinoise dans la Salle Renaissance

Fête chinoise dans la Salle Renaissance

Mosquée avec cénotaphes

Mosquée avec cénotaphes

Jardin de la maison Pierre Loti

Jardin de la maison Pierre Loti

jardin de la maison Loti

jardin de la maison Loti
Infos pratiques

Réouverture 10 juin 2025
137 Rue Pierre Loti, (anciennement rue Chanzy) -17300 Rochefort
De février à décembre (fermé en janvier)
Ouvert du mardi au dimanche (fermé le lundi)
Visites guidées uniquement, sur réservation et par groupe de 10 visiteurs
Départ des visites toutes les 30 min
Durée de la visite : 1h30
Tarifs : 16.50 € / 12.50 €
www.maisondepierreloti.fr


À lire : « La maison de Pierre Loti », Marie-Laure Lemoine, Claude Stéfani
Hors-Série Découvertes Gallimard, 2025.


À voir aussi à Rochefort :
Exposition « Pierre Loti, hommage sculpté » au Musée de la Marine.
En écho à la réouverture de la Maison de Pierre Loti (1850-1923) le 10 juin 2025, le musée national de la Marine propose une exposition centrée sur les œuvres créées après la mort de cette figure emblématique de Rochefort. À travers des œuvres issues des collections du musée, restaurées pour l’occasion, le parcours commence en questionnant ces objets fondateurs d’une mémoire collective, véhiculant des images partagées.
Sculptures, médailles, photographies, dessin et cartes postales témoignent ainsi d’une époque et d’une volonté de rendre hommage à un homme et à sa double carrière, celle d’écrivain et de marin. L’exposition se poursuit à travers quatre escales thématiques, installées au cœur du parcours permanent du musée. Chacune propose de revisiter un objet des collections ou un espace des monuments, en l’analysant du point de vue de Julien Viaud, alias Pierre Loti.
Du 11/06/2025 au 03/11/2026.


Visuels :

 Pierre Loti, visuel courtesy Maison P. Loti.

 La mosquée de Pierre Loti, cliché Vincent Lagardère-CMPC, 2012.

 Mosquée et son plafond, photo Simon David.

 Le salon turc avec son plafond à muqarnas en stuc inspiré de l’Alhambra de Grenade. cliché Pascal Robin, 2007.

 La Chambre arabe, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Loti dans sa chambre arabe, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 La chambre de grand-mère, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Le bureau de Pierre Loti, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David

 La chambre de Loti, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Pagode japonaise, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Salle gothique (détail), visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Fête chinoise dans la Salle Renaissance, visuel Musées-municipaux Rochefort 17 + Simon David.

 Sculpture Vidyaraga-Raga - Démon Aizen-Myôô. Anonyme (dans la pagode japonaise), Musée-municipaux Rochefort 17. Photo L’Agora des Arts.

 Vue de la mosquée et de deux des cinq cénotaphes. Photo L’Agora des Arts.

 Vues de la maison de Pierre Loti, côté jardin, photo L’Agora des Arts, 7/7/2025.