Le Havre : 500 ans d’histoire

Le Havre surprend tous les visiteurs qui le découvrent pour la première fois. Rares sont en effet les villes qui affichent une telle unité architecturale. La « faute » à l’occupation allemande et au déluge de bombes anglaises qui rasa la ville à 80%, les 5 et 6 septembre 1944. Un bombardement ultime pour libérer la ville qui interroge encore, mais auquel a succédé l’un des plus colossaux chantiers de reconstruction d’après-guerre : une ville nouvelle à bâtir sur 150 hectares de cendres.

Confiée à Auguste Perret (contemporain et maître de Le Corbusier) entouré d’une équipe d’une centaine d’architectes, cette reconstruction s’est faite selon quatre grands principes d’urbanisme et d’architecture pour une reconstruction exemplaire. Des ilots d’immeubles séparés par de larges rues et agrémentés de cours de verdure. Des immeubles érigés selon le même standard (toit plat, construction « poteau-poutre » avec des piliers tous les 6,24 mètres permettant l’absence de murs porteurs). Des appartements lumineux, aux espaces modulables et avec tout le confort moderne comme en témoigne l’appartement témoin. Et, remplaçant la pierre, ce fameux béton armé et ouvragé offrant une variété de matière et de couleurs du beige rosé au mordoré…qui a inscrit Le Havre au Patrimoine Mondial de l’Humanité en 2005 et en a fait une ville qui étonne par sa lumière et son élégance, tant certains s’imaginent, à tord, ne découvrir que des blocs gris et tristes façon blockhaus. On peut même parler de classicisme avenue Foch, avec ces grands halls d’entrée, ces colonnes polygonales et ces bas-reliefs qui ornent les immeubles de standing.

Un laboratoire urbain unique en son genre qui continue de faire école

Dans la foulée des logements, des édifices majeurs voient le jour dont les deux tours de la Porte océane avenue Foch ; symbole du passage entre la ville et la mer, mais aussi l’imposant Hôtel de ville qui a retrouvé approximativement sa position d’avant-guerre et d’où l’on peut embrasser la ville à 360° du haut des 18 étages de sa tour-beffroi. Et surtout l’église Saint-Joseph, avec sa flèche qui culmine à 107 mètres, dominant la ville comme un phare. Érigée en mémoire des victimes des bombardements, c’est un chef-d’œuvre architectural à couper le souffle, voire à donner le vertige lorsqu’on lève les yeux à l’intérieur de la tour-lanterne octogonale qui s’élève de manière spectaculaire au-dessus du maitre-autel. Éclairée de 12 768 carreaux de verre antique soufflé à la bouche à Saint-Just-sur-Loire, qui dans un bel ordonnancement subliment l’ouvrage par leurs couleurs chaudes (œuvre de l’artiste Marguerite Huré), l’église Saint-Joseph est achevée en 1957, après la mort d’Auguste Perret.
Après lui, de nombreux autres architectes se sont penchés sur Le Havre. Guy Lagneau, Michel Weill, Jean Dimitrijevic et Raymond Audigier ont conçu le MuMa, musée d’art moderne André Malraux, tout de verre et de métal, chapeauté d’un paralume en aluminium imaginé par Jean Prouvé, et ouvert sur la mer au pied de la Vigie qui réglemente toutes les entrées du port. Puis Oscar Niemeyer a dressé le Volcan en 1982 (surnommé parfois le pot de yaourt par les havrais), en réalité deux volcans de blanc vêtus : le grand abritant la Scène nationale et le petit hébergeant la bibliothèque. On doit à Jean Nouvel en 2008 les Bains des docks, un grand complexe aquatique, tandis que Reichen et Robert ont offert une seconde vie aux anciens docks du XIXe siècle.

Que serait Le Havre sans son port ?

Mais que serait Le Havre sans son port ? Même âge, même géniteur : François 1er. Les ports d’Harfleur et d’Honfleur sont envasés et l’essor commercial impose la naissance d’un nouveau port, plus grand et pouvant répondre aux opportunités économiques et aux besoins défensifs du royaume. Le 7 février 1517, François 1er ordonne la création d’un port fortifié, au nord de l’embouchure de la Seine, au « lieu de Grasse », pour son emplacement stratégique, puis signe le 8 octobre de la même année, les chartes de fondation de la ville. Ces actes, signés sur du parchemin, ont échappé aux destructions du temps, des guerres, des bombardements. Fragiles, ils doivent être protégés de la lumière, de la chaleur et de l’humidité. Ces documents historiques ont été exceptionnellement extraits des archives municipales, pour être présentés durant une semaine (en février) dans l’Hôtel de Ville. Ce sont maintenant des fac-similés qui sont exposés dans la salle François 1er, jusqu’au 8 octobre 2017.
Dominé par une statue de François 1er, le Bassin du Roy a laissé place au cours des siècles à d’autres bassins et quais, de plus en plus vastes pouvant accueillir désormais des géants des mers, comme ce MOL Triumph, l’un des plus gros porte-containers au monde : 400 mètres de long, 60 mètres de large, 33 mètres de haut et 20 500 containers à bord. Ou des paquebots de croisière tel l’Aida prima (de la Cie Aida Cruises allemande) : 300 mètres de long, 18 ponts et d’une capacité de 3 300 passagers. Un paquebot de la démesure, héritier des mythiques France (1912), Ile-de-France (1927) et Normandie (1935) qui reliaient Le Havre à New York. Porté par la Révolution Industrielle et le trafic des matières premières (coton, café, épices, bois exotiques…), Le Havre a connu un âge d’or au XVIIIe siècle. Puis grâce à la mode des bains de mer au début du XXe siècle, la ville est aussi devenue une station balnéaire. Rares rescapées des bombardements de 1945, la très originale Maison de l’Armateur (XVIIIe) sur le Quai de l’Ile, quelques belles maisons Art déco dominant la mer à Sainte Adresse et des villas en bord de plage témoignent encore de cette histoire havraise.
Toujours premier port français pour le commerce extérieur et premier port de la façade Manche-Atlantique pour les croisières, le port du Havre s’ouvre à la visite à bord du Ville du Havre II permettant d’en mesurer l’importance et les activités. À son bord, c’est aussi toute la ville que l’on longe : la ville basse dominée par le clocher-phare de Saint Joseph et la ville haute, reliées entre elles par un funiculaire et de nombreux escaliers. En rentrant au port après la balade en mer, impossible de ne pas évoquer Impression, soleil levant, cette toile peinte par Claude Monet en 1872 ; fugitif instant où l’aube nimbe de ses couleurs le port du Havre et que le peintre sut admirablement saisir, donnant, sans le savoir encore, naissance au courant impressionnisme.

Texte Catherine Rigollet (mai 2017)
Reportage photo Lionel Pagès

Visuels de l'artiste

Le Volcan - O.Niemeyer

Le Volcan - O.Niemeyer

La main d’Oscar Niemeyer

La main d'Oscar Niemeyer

Le Havre - Architecture A.Perret

Le Havre - Architecture A.Perret

Saint Joseph - A. Perret

Saint Joseph - A. Perret

Vitraux Saint Joseph

Vitraux Saint Joseph

Le Havre - Port de Plaisance

Le Havre - Port de Plaisance

Appartement témoin A. Perret

Appartement témoin A. Perret

Le Havre vue de l’Hôtel de Ville

Le Havre vue de l'Hôtel de Ville

Porte-container Le Mol

Porte-container Le Mol

Le Signal - MuMa

Le Signal - MuMa

Détail béton A. Perret

Détail béton A. Perret