La rocambolesque odyssée de l’Agneau mystique de Jan van Eyck, joyau de la culture flamande.

Entièrement rénové et installé définitivement dans une chapelle de la cathédrale Saint-Bavon, le retable de L’Agneau mystique, d’une beauté époustouflante, témoigne de l’art innovant et érudit du maître gantois Jan van Eyck (vers 1390-1441). Son histoire rocambolesque ajoute à sa légende.

Quelle incroyable aventure que celle du retable de L’Agneau mystique de van Eyck ! Commandé aux frères van Eyck par Josse Vijd et sa femme Elisabeth Borluut, ce retable de douze panneaux en chêne d’une taille considérable (5,20 x 3,75 m ouvert), commencé par Hubert Van Eyck (vers 1366 ?-1426), continué après sa mort, et durant six années, par son jeune frère Jan (vers 1390-1441), est enfin mis en place dans une chapelle de l’église Saint-Bavon de Gand, le 6 mai 1432.

L’élément central de ce polyptyque qui symbolise le rachat du péché originel par le Christ est l’Agneau mystique, qui verse son sang dans le Saint Graal. Ce drôle d’agneau aux yeux perçants, si humains, est représenté sur un autel au milieu d’un paysage paradisiaque, entouré d’une foule venue l’adorer : anges, pèlerins, ermites, chevaliers du Christ, juges intègres, saints martyrs…C’est la partie la plus spectaculaire de cette œuvre riche de détails d’une beauté époustouflante, celle qui a donné son nom à l’œuvre. Au-dessus trône le Christ-Roi, entre la Vierge Marie et saint Jean-Baptiste, encadrés d’anges musiciens et d’Adam et Eve quasi statufiés et dont le réalisme de la nudité est stupéfiant pour l’époque. Fermé, le retable montre l’Annonciation, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’évangéliste et les portraits des commanditaires.

L’histoire rocambolesque de L’Agneau mystique, volé et retrouvé par les « Monuments Men » après la Seconde Guerre mondiale.

L’histoire de ce chef d’œuvre de la peinture flamande du 15e siècle ne fait que commencer. En 1566, le retable doit être caché dans la tour de la cathédrale durant une révolte protestante. En 1794, des soldats français emportent les panneaux centraux à Paris (ils reviendront en 1815 après Waterloo). En 1816, pour des raisons financières, six panneaux latéraux sont vendus…et se retrouvent en Prusse, à l’exception d’Adam et Eve remisés dans une petite salle d’archives pour cause de nudité scandaleuse. Ils sont vendus à l’État belge en 1822 pour financer les réparations du retable qui vient d’échapper de peu à un violent incendie à la cathédrale, et provisoirement remplacés par une copie les représentant habillés de peaux de bêtes (copie aujourd’hui exposée à l’entrée de la cathédrale). Durant la Première Guerre mondiale, les panneaux centraux sont cachés. En 1920, à la suite du Traité de Versailles, le retable se retrouve à nouveau exposé dans sa totalité. Las ! Deux panneaux sont volés en 1934 contre demande de rançon : Les Juges intègres et la grisaille représentant Saint Jean-Baptiste. Seul ce dernier est retrouvé. Caché à Pau pendant la guerre, le retable est volé à la demande d’Hitler et dissimulé dans la mine de sel d’Altaussee, en Autriche. Retrouvé par les « Monuments Men », il retourne enfin à Gand en 1946. Quel dénouement !
Aujourd’hui, seul manque toujours à l’appel le panneau des Juges intègres, remplacé depuis 1945 par une copie du restaurateur -et faussaire- de peintres Primitifs flamands, Jef Van der Veken.

Le génie de Jan van Eyck

Avec L’Agneau mystique, van Eyck a atteint le summum de son art. Ce chef-d’œuvre, source de tant de convoitises et de péripéties du fait de sa valeur artistique, a fait l’objet de nombreuses copies, notamment celle de Michiel Coxcie en 1497 qui servira souvent de source documentaire. Peintre officiel, mais aussi diplomate érudit au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Jan van Eyck est devenu un maître incontesté du portrait par le réalisme des traits des personnages qu’il peint de trois-quarts (quand les Italiens privilégient encore les profils). Ils ont presque l’air vivants, ce qui a fait dire à son biographe Bartolomeo Fazio qu’il ne leur manquait que la voix. Ses architectures et ses paysages aussi sont de plus en plus conformes à la vision humaine et truffés de détails d’une précision de miniaturiste. La renommée de Jan van Eyck est immense, notamment à Bruges et surtout à Gand, riche de son textile et de sa localisation à la confluence de la Lys et de l’Escaut. Grâce à l’utilisation toute récente de l’huile comme médium, à laquelle l’artiste a ajouté des siccatifs pour raccourcir le temps de séchage (quand les Italiens peignent encore à la détrempe à l’œuf), ses tableaux ont gagné en éclat, transparence et délicatesse des couleurs. « Sa connaissance de la physique l’a aussi rendu capable d’imiter les effets optiques de la lumière qui sont nécessaires pour accentuer l’expérience de l’espace dans son œuvre. Non seulement par le jeu de l’ombre et de la lumière, mais également par la façon dont la lumière se déplace dans l’espace, est absorbée entre les plis des vêtements, se reflète sur les cuirasses convexes et concaves et se fraie naturellement un chemin à travers les surfaces transparentes comme le verre et les pierres précieuses ou encore l’eau courante », commente Johan De Smet, co-commissaire de l’exposition « Van Eyck. Une Révolution optique » en 2020. Sur le retable, avoir ajouté le reflet d’une fenêtre dans le bijou d’un ange chanteur est tout simplement incroyable.

Grâce à une très longue et méticuleuse campagne de restaurations commencée en 2012, réalisée à l’Institut royal du patrimoine artistique, sous la direction de la restauratrice Hélène Dubois, l’œuvre a retrouvé tout son éclat et l’authenticité de ses couleurs radieuses. Elle a révélé des détails longtemps masqués par des surpeints réalisés notamment au 16e siècle dans les tendances de l’époque, et a livré des informations précieuses sur les différentes mains qui ont œuvré à sa réalisation. Désormais, elle ne quittera plus la cathédrale gantoise, installée dans une chapelle entièrement réaménagée pour lui offrir le maximum de visibilité et de sécurité. Avant de l’admirer, pour mieux comprendre tous les détails de sa complexe composition, vous pouvez découvrir son histoire, coiffé d’un casque et de lunettes spéciales, au cours d’une visite en réalité augmentée qui vous emmène jusque dans l’atelier du peintre, au milieu du XVe siècle.

La Cathédrale Saint-Bavon possède en outre nombre d’autres trésors artistiques : l’autel baroque en marbre moiré de noir et blanc et de rouge ; la chaire rococo en chêne, bois doré et marbre ou encore L’entrée de saint Bavon au cloître, un chef-d’œuvre de Rubens.

L’Agneau mystique de van Eyck et la belle et vivante Gand au riche patrimoine bordant ses canaux méritent votre venue.

Catherine Rigollet

 À lire : L’Agneau mystique – Van Eyck. Art, histoire, science et religion : un ouvrage essentiel pour comprendre l’histoire de ce chef-d’œuvre, découvrir la saga de la grande famille Van Eyck et apprendre tous les détails de la restauration du retable. (Collectif, 368 pages, 200 illustrations, Ed. Flammarion, 60€)

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Cathédrale Saint-Bavon
Sint-Baafsplein, 1 Gand (Belgique)
Toute l’année
Visite virtuelle : 60 minutes (40 mn pour les enfants).
Tarif : 12,5 € (retable) 16€ (visite virtuelle + Retable)
Horaire et réservation : www.sintbaafskathedral.be


Y aller :
 En train : Thalys Paris - Bruxelles Midi : 1h22 de trajet. www.thalys.com – Puis correspondance à Bruxelles Midi jusqu’à Gand St Pierre (départ toutes les 15 minutes, durée du trajet 30 minutes.
 En voiture : Attention : la ville de Gand a mis en place des zones à faibles émissions depuis le 1er janvier 2020. https://stad.gent/fr/zone-de-basses-emissions-gand-2020.
Et pour sa loger, boire & manger, voir &faire : www.visitgent.be et www.visitflanders.com/fr/


Visuels : Hubert et Jan van Eyck, Retable de l’Adoration de l’Agneau mystique, 1432 (Gand), fermé, ouvert et détail de l’agneau.
L’Adoration de l’Agneau mystique, panneau fermé.
Pierre-François de Noter, La chapelle Vijd avec L’Agneau mystique, 1829 (Amsterdam, Rijksmuseum).
Deux détails du panneau des Juges intègres.
Photos L’Agora des Arts.