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Petite histoire de l’art de tromper nos sens

Plus de 80 œuvres, du XVIe au XXIe siècle, provenant de collections particulières et publiques d’Europe et des États-Unis sont exposées et permettent d’appréhender l’évolution formelle du trompe-l’œil.

Le peintre grec Zeuxis (464-398 av. J.C.), dans une compétition qui l’oppose au peintre Parrhasios (460-380 av. J.C.), représente des raisins si parfaits qu’ils attirent des oiseaux. Parrhasios, à son tour, peint un tissu d’un réalisme tel que Zeuxis lui demande de l’enlever pour pouvoir contempler le tableau. Zeuxis a trompé des oiseaux, mais son adversaire a réussi à tromper un artiste. Si le trompe-l’œil ne porte pas encore son nom (le terme aurait été employé pour la première fois par Louis Léopold Boilly (1761-1845) en légende d’une œuvre exposée au Salon de 1800), le procédé fascine déjà autant que le talent des artistes.

Il faut bien le reconnaître, quel plaisir de se laisser duper par cette forme d’illusion dans l’art. Bien sûr, en visitant l’exposition que le musée Marmottan-Monet consacre au trompe-l’œil, ce genre pictural qui donne l’illusion de la réalité, on s’attendait au faux verre brisé, fausses sculptures, fausses gravures tenues par de fausses ficelles, faux rubans pendant le long d’un faux cadre en bois donnant l’illusion de la tridimensionnalité, mais le pouvoir de l’illusion est parfois si bluffant qu’on se laisse prendre ; l’envie de toucher démange. Comme d’ouvrir la porte entrebâillée de cette Armoire aux bouteilles et aux livres (Anonyme, Allemagne du Nord, vers 1520-1530) ou de mettre le doigt sur le verre brisé protégeant une gravure encadrée de Gaspard Cresly (après 1738). Au cours du XVIIIe siècle, Cresly fait partie des artistes, avec Boilly, Bouillon ou encore Munari qui raffolent de ces compositions de gravures en trompe-l’œil. La recette est bonne, quoiqu’un peu répétitive : sur un fond de faux bois, les artistes accrochent divers objets ou papiers. Tous peints par leurs soins évidemment, en variant les effets picturaux : huile, fusain, sanguine, gravure…

Entre les XVIIe et XVIIIe siècles, l’envie de créer l’illusion s’étend à la production de céramique : soupière en forme de chou, terrines zoomorphes, assiettes garnies de fruits, légumes, insectes ou crustacés ravivent le souvenir des merveilles du céramiste de la Renaissance, Bernard Palissy. Le goût se répand dans toute l’Europe grâce à la haute technicité des artisans d’art, notamment ceux des manufactures comme Meissen en Allemagne ou Hannong à Strasbourg (Terrine en forme de laitue, 1750). Au-delà de la peinture de chevalet, la peinture en trompe-l’œil constitue également un élément de décor architecturé sous forme de dessus-de-porte, devants de cheminées ou médaillons. On ne manquera pas cette rare femme dans ce monde d’illusion : Anne Vallayer-Coster, une peintre renommée à la cour de Marie-Antoinette qui excellait dans le trompe-l’œil de bas-relief (Trompe-l’œil aux putti jouant avec une panthère ou Le Printemps, 1776).

Méprisé et délaissé en France au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est aux États-Unis, à Philadelphie, que le genre s’y déploie avec la mise en scène réaliste d’objets du quotidien. Un monde des objets dont va bientôt s’emparer des surréalistes français, puis les nouveaux réalistes comme Daniel Spoerri avec ses tableaux-pièges, les artistes de l’Arte Povera comme Giuseppe Penone, les hyperréalistes comme Daniel Firman et sa sculpture Jade (2015), moulage d’une jeune fille appuyée contre une cloison, ou encore Henri Cadiou, fondateur du mouvement Trompe-l’œil/ Réalité avec sa Déchirure (1981), une (faux) Mona Lisa enveloppée d’un (faux) papier d’emballage déchiré, maintenu par de (faux) bouts de scotch. Facétieux, l’artiste a même glissé sa (fausse) carte de visite dans le coin de la toile.
On passera très vite sur la dernière partie de l’exposition, l’art du camouflage pour tromper l’ennemi. L’idée était certes pertinente, mais les pièces exposées très décevantes. Refaites plutôt le parcours en sens inverse pour apprécier à nouveau la virtuosité et l’ingéniosité technique des artistes qui y ont souvent mêlé une pointe de fantaisie, voire d’humour.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 17 octobre au 2 mars 2025
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis Boilly 75016
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Tarifs : 14,50€ / 10€ (expo + musée)
Tél. 01 44 96 50 33
https://billetterie.marmottan.fr


 Ne manquez pas lors de votre visite au musée Marmottan-Monet d’admirer la collection des Monet au sous-sol. Sis dans l’ancien hôtel particulier de Jules et Paul Marmottan, le musée est devenu en 1966 le légataire universel de Claude Monet par l’intermédiaire de son fils, Michel, héritant ainsi de la maison de Giverny et des œuvres restées dans la famille. C’est le premier fonds mondial d’œuvres de Claude Monet, écrin notamment de l’iconique Impression, soleil levant .
 A découvrir aussi : l’exceptionnelle collection d’enluminures.


Visuels :

 Anonyme, Allemagne du Nord, Armoire aux bouteilles et aux livres. Vers 1520-1530. Huile sur bois, 106 x 81 cm. Colmar, musée Unterlinden © Musée Unterlinden / Christian Kempf.

 Cristoforo Munari, Trompe-l’œil aux instruments du peintre et aux gravures. Avant 1715. Huile sur toile, 90 x 77,5 cm. Paris, Collection Farida et Henri Seydoux © Studio Christian Baraja SLB.

 Jean Pillement, Trompe-l’œil avec ruban turquoise devant le paysage de la campagne portugaise. Vers 1790. Huile sur toile, 37,5 x 54 cm. Paris, Collection Farida et Henri Seydoux © Studio Christian Baraja SLB.

 Laurent Dabos, Trompe-l’œil, dit aussi Traité de paix définitif entre la France et l’Espagne. Après 1801. Huile sur bois, 58,9 x 46,2 cm. Paris, musée Marmottan Monet © Musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB.

 Léon Antoine Brad, Assiette de moules et une huitre, 4e quart du XIXe siècle. Faïence émaillée à décor au naturel et en relief. Tours, musée des Beaux-Arts.
Et Manufacture Hannong, Strasbourg. Terrine en forme de laitue, 1750. Faïence stannifère, décor à petit feu polychrome. Paris Musée Cluny. Dépôt au musée de Sèvres. Photo L’Agora des Arts.

 Daniel Spoerri, Tisch n°5. 1968 (série des tableaux-pièges).
Et Daniel Firman, Jade, 2015. Résine peinte, acier, vêtements, perruque. Courtesy Ceysson & Bénétière. Photo L’Agora des Arts.

 Henri Cadiou, La Déchirure, 1981. Huile sur toile. Collection particulière
© Droits réservés © ADAGP, Paris 2024.