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Les Années Fauves

Le fauvisme est à l’honneur en 2023, et la Fondation Pierre Gianadda ouvre le bal des fauves cet été avec une exposition autour des « Années Fauves » en collaboration étroite avec le musée d’art moderne de la Ville de Paris, dont les collections sont riches de cette période aussi effervescente qu’éphémère qui fusa à partir du Salon d’automne de Paris de 1905 pour se dissoudre trois ans plus tard ; Henri Matisse, André Derain, Maurice de Vlaminck, les plus audacieux, et leurs amis Georges Rouault, Albert Marquet, Henri Charles Manguin, Jean Puy, Othon Friesz, Raoul Dufy, Kees van Dongen, estimant avoir fait le tour de l’usage de la couleur pure. La découverte de l’art premier et simultanément une compréhension plus attentive de l’œuvre de Cézanne ouvraient la voie à de nouvelles recherches autour du cubisme.

Le Fauvisme changea tout

Toutefois, « le Fauvisme changea tout », affirme Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ce fut une véritable « épreuve du feu », selon l’expression de Derain. Épreuve aussi pour les six artistes (Camoin, Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck) qui exposèrent dans la salle VII du salon de 1905 essuyant critiques et quolibets, qualifiés même de « fauves » par le critique Louis Vauxcelles scandalisé notamment devant les « pochades » aux couleurs criardes de Matisse. Mais par ses mots, il transforma un groupe d’amis animés des mêmes convictions en mouvement artistique qui allait faire parler de lui longtemps. Le fauvisme était né. Sa place dans l’histoire de l’art aussi, reconnu même comme la première avant-garde du XXe siècle, sans règles ni interdits. « Le fauvisme a proposé à ce moment-là des solutions plastiques extraordinaires et mis en évidence cette notion, développée par Derain notamment, que la forme et le sens pouvaient être intrinsèquement liés sans avoir besoin de discours ou de sujets dans la peinture », souligne Jacqueline Munck, conservatrice en chef du musée d’art moderne de Paris et commissaire de l’exposition.

Seule compte la couleur pure

À partir des collections du MAM-Paris, complétées de quelques prêts du Centre Pompidou, du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, de collections privées ainsi que des collections de la Fondation Pierre Gianadda, Jacqueline Munck a choisi une centaine de peintures, dessins, céramiques, sculptures des principaux protagonistes du groupe autour de deux thématiques. D’abord le paysage, la part la plus démonstrative de la libération de la couleur engagée par les fauves, comme avec cette Terrasse sur la plage de Dufy, peinte sur le vif en touches de jaune, vert, bleu, des tons intenses et acides, presque dissonants. Puis la figure, devenue un nouveau territoire d’expérimentation de ces artistes pour qui la forme de leurs nus, baigneuses et danseuses n’est qu’un prétexte, seule comptant la couleur comme l’exprime parfaitement le Nu à la corbeille de fleurs (vers 1908) de Kees van Dongen.
L’ambition de l’exposition est de montrer ce qui les rassemble et ce qui les différencie ; aucun des fauves n’ayant la même signature : Georges Rouault inclassable entre fauvisme et expressionnisme, Paul Signac se rapprochant des fauves par dévotion pour la couleur, mais restant pointilliste, Raoul Dufy pour qui la couleur déborde de plus en plus des formes ou encore André Derain qui de pionnier du fauvisme commence déjà à dompter et assombrir sa palette, comme avec ses Baigneuses (vers 1908).

La leçon de Cézanne et les couleurs de Van Gogh

On regrettera évidemment de ne pouvoir contempler -parmi la dizaine d’œuvres de Henri Matisse exposées, essentiellement des dessins en noir et blanc- qu’une seule petite huile sur carton de la « période fauve » (Paysage de Saint Tropez au crépuscule, 1904) et un vase au décor de danse (1907). Étant donné la composition des collections du MAM-Paris organisateur de cette exposition, l’exposition est en revanche riche en œuvres de Rouault et Dufy. Elle révèle aussi quelques jolies pépites de Henri Charles Manguin (La Femme à la grappe – villa Demière, 1905), Charles Camoin (La fille endormie, 1905), Jean Puy (La Faunesse endormie, 1906) ou encore Auguste Herbin (Paysage près du Cateau-Cambrésis, 1908). On pourra s’étonner dans le parcours de découvrir des artistes qui n’ont pas adhéré au mouvement fauve, comme Pablo Picasso ou Egon Schiele. Mais, « ils ont participé à ces années fauves en bouleversant les conventions esthétiques du beau (Picasso est en pleine période rose et Schiele recouvre ses nus tordus en rouge et vert, ndlr) et souvent noué d’étroits contacts avec les membres du groupe », justifie Jacqueline Munck, rappelant aussi que « l’œuvre peint de Cézanne incarne le dénominateur commun à toute une génération, celle des fauves et celle plus tard des cubistes ». Une façon de faire comprendre que le fauvisme n’a pas surgi dans l’histoire de l’art. Qu’il s’inscrit dans une chaîne. En août 1888, Van Gogh écrivait à son frère Théo : « La peinture comme elle est maintenant, promet de devenir plus subtile -plus musique et moins sculpture- enfin elle promet la couleur ». Tout était déjà là pour enflammer les toiles et le feu ne s’est pas éteint brutalement du jour au lendemain.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 7 juillet 2023 au 21 janvier 2024
Fondation Pierre Gianadda
Rue du forum, 59 – Martigny (Suisse)
Ouvert tous les jours, 9h-18h
Tarif plein : 20€ / CHF 20
Catalogue de l’exposition : CHF 35/ € 35
https://www.gianadda.ch/


La fête fauve se poursuit au Kunstmuseum de Bâle, du 2 septembre 2023 au 21 janvier 2024 avec l’exposition « Matisse, Derain et leurs amis. L’avant-garde parisienne des années 1904-1908 ».


Visuels :
 André Derain, Le phare de Collioure, 1905. Huile sur toile, 32,5 x 40,5 cm. Donation Henry-Thomas en 1984. Paris Musées / Musée d’Art moderne de Paris.
 André Derain, Trois personnage assis dans l’herbe, 1906. Huile sur toile, « 8 x 55 cm. Legs du Docteur Maurice Girardin en 1953. Musée d’art moderne de Paris.
 Raoul Dufy, La terrasse sur la plage, 1907. Huile sur toile, 46 x 55 cm. Donation Henry-Thomas en 1976. Musée d’art moderne de Paris.
 Georges Rouault, Composition-Nus, 1906. Esquisse gouache, huile délayée et aquarelle sur papier vergé, 48 x 62,7 cm. Legs du Docteur Maurice Girardin en 1953. Musée d’art moderne de Paris.
 Henri Manguin, La Femme à la grappe – Villa Demière, 1905. Huile sur toile, 116 x 81 cm. Achat, Lucile Manguin, 1983. Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse.
 Raoul Dufy, Les Régates, 1907-1908. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Legs du Docteur Maurice Girardin en 1953. Musée d’art moderne de Paris.
 Emile Othon Friesz, Assiette, Femme nue assise au bas d’un palmier, 1907. Faïence stannifère. Collection Larock.
 Kees Van Dongen, Nu à la corbeille de fleurs, vers 1908. Huile sur carton marouflé sur toile, 46 x 42 cm. Donation de Mathilde Amos en 1955. Musée d’art moderne de Paris.
Photos © L’Agora des Arts.