De son enfance campagnarde à ses obsèques nationales, la vie de Colette (1873-1954) est un roman, celui d’une femme indépendante et sans tabou mais aussi celui de la France de la première moitié du XXe siècle. On devrait d’ailleurs parler des « France » tant la sensibilité de Colette a puisé dans tous les univers qu’elle a fréquentés et disséqués (province, vie parisienne et mondaine, music-hall, milieu littéraire et artistique, mode, presse…) pour transfigurer ses impressions et sensations dans ses œuvres de fiction comme dans ses nombreux articles journalistiques. Dans ce style vif à nul autre pareil, jamais trop prosaïque ni trop lyrique, qui l’a fait apprécier autant par le lecteur ordinaire que par nombre de ses pairs en littérature. D’ailleurs, l’exposition proposée par la BnF/Mitterrand s’intitule fort justement « Les mondes de Colette » qui nous entraîne au fil d’un parcours fluide, même s’il est découpé en cinq étapes (Souvenirs sensibles, Le monde, S’écrire, Le temps, La chair), dans les atmosphères successives ou simultanées au cœur desquelles Colette a plongé sa plume.
Cette exposition s’appuie sur l’important fonds Colette dont dispose la BnF en manuscrits, éditions différentes, lettres, affiches, photos, enregistrements sonores et filmés auxquels viennent s’ajouter des prêts du musée et de la Maison Colette de Saint-Sauveur-en-Puisaye et de collections privées. Ce qui forme un corpus de 350 pièces, jalons et facettes émouvants ou factuels qui façonnent l’extraordinaire destin d’une petite provinciale devenue gloire nationale. Une fresque foisonnante de la Belle Époque au milieu des années cinquante. À travers ses manuscrits (le manuscrit de Sido relié avec un morceau d’une robe de Sido, la mère de Colette, par exemple), ses livres, ses lettres, ses portraits peints (notamment celui de Jacques-Émile Blanche, portraitiste des « stars » de la Belle Époque) et photographiques mais aussi des extraits sonores où s’entend son accent bourguignon qui roule les r et des extraits filmés (l’incroyable séquence d’interview de Colette par Cocteau où s’affrontent deux cabotins entre le jeu et la sincérité), la Colette de chair et de sang, de mots et d’audaces, semble comme ressuscitée. D’ailleurs, l’exposition peut se féliciter de présenter des tirages originaux de photographies de Colette et son entourage (issus d’une collection particulière) et trois albums ayant appartenu à Willy (le premier mari de Colette), tout un ensemble rarement montré, voire inédit. Parmi tous ces archives et documents directement rattachés à l’écrivaine, des œuvres d’autres artistes (Van Dongen, Marie Laurencin, Matisse, Camoin, Dunoyer de Segonzac…) ouvrent d’autres fenêtres sur « les mondes de Colette », rehaussant ses écrits, illustrant une époque.
L’artiste Giulia Andreani a réalisé spécialement pour cette exposition quatre grandes impressions (d’après aquarelles sur papier et acryliques sur toile) qui proposent une fresque originale de la vie et de l’œuvre de Colette (« Le Souvenir » ou la classe des filles, « La Vagabonde » ou music-hall, « Le Temps des Colettes » et « La Chair » ou couples). Cette exposition, qui s’adresse autant aux connaisseurs de Colette qu’à ceux qui la découvrent à peine, montre, dans un patchwork étourdissant, la destinée d’une femme éprise de liberté, pétrie de talent et d’énergie.
Jean-Michel Masqué








